Dévastée, à en croire les premiers compte-rendus officiels, par l'explosion de plus de 2700 tonnes de nitrate d'ammonium entreposés depuis 2014 dans le port de la capitale libanaise, à quelques dizaines de mètres des premiers immeubles d'habitation.
Les dégâts sont incommensurables : l'explosion a été entendue à plus de 200 km de là à Larnaca, sur l'île de Chypre. Des immeubles situés à plusieurs kilomètres de l'explosion se sont effondrés ; au moins trois quartiers du centre de Beyrouth sont rayés de la carte.
Beyrouth dévastée aussi par une crise économique profonde...
Des Libanais qui n'ont plus accès à leurs comptes bancaires, des dollars rationnés, une monnaie en chute libre, une inflation hors-contrôle et des bailleurs de fonds qui, à l'image de la France, refusent de renflouer sans réforme. Et aujourd'hui la dévastation.
Il faut prendre un peu de recul pour mieux comprendre : de la même façon qu'il y a deux ans, l'effondrement du pont Morandi à Gênes a semblé résumer toutes les failles béantes de l'Italie, cette explosion à Beyrouth est le condensé de la faillite de l'Etat libanais.
Comment un Etat soucieux de la sécurité de ses citoyens a-t-il pu laisser – et certains disent depuis 2014 – une telle quantité de produits hautement explosifs au cœur de sa capitale ? C'est simple : un Etat qui ne contrôle pas, qui ne punit pas, qui n'existe pas.
Un Etat qui n'existe pas
Depuis la fin de la guerre civile dans les années 80, l'Etat libanais a été délibérément affaibli, sinon dépecé : son armée est désormais doublée par celle du Hezbollah ; les services de base, éducation, santé, et jusqu'au ramassage des ordures, ont été privatisés et distribués à des clans familiaux donc politiques.
Sa capacité d'initiative a été sapée presque avec sadisme par un système politique et confessionnel qui l'a rendu incapable de réguler ou d'arbitrer : l'Etat libanais est l'otage d'intérêts particuliers dont la somme ne sert plus depuis longtemps l''intérêt général.
Il restait un système bancaire solide appuyé sur une Banque centrale respectée. Or, en proposant depuis une dizaine d'années des taux d'intérêts allant jusqu'à 30 à 40% annuels, le Liban tout entier s'est fourvoyé dans un système de Ponzi à la taille du pays.
La crise libanaise est avant tout celle de son Etat failli
C'est plus profond que cela encore : non seulement l'Etat libanais libanais est failli, mais ce qui faisait l'originalité et la prospérité du Liban s'est évanoui. Le Liban, c'était le lien parfait et fluide entre Orient et Occident, un pays trop petit pour avoir des ambitions géopolitiques et avec une diaspora riche et cultivée servant de relais aux affaires.
Or le commerce régional ne passe plus par Beyrouth mais par Dubaï ou Istanbul. Son port si puissant encore dans les années 60 est marginalisé par celui du Pirée ou de Djeddah, en Arabie saoudite. Sa monnaie est si dévaluée qu'on peine à en connaître le cours et sa diaspora s'éloigne de plus en plus de ce « pays d'origine » qui n'est souvent plus qu'un souvenir de vacances.
Il restait au Liban ses « parrains » internationaux qui finissaient toujours par remettre au pot : l'Occident, avec la France en pointe, l'Iran et son allié le Hezbollah et monarchies du Golfe pour les sunnites. Aujourd'hui aucun de ces trois acteurs ne plus veut ou ne peut plus payer.
Un dernier exemple : pour reconstruire Beyrouth demain, il faudra tout importer. Le Liban ne produit rien. Et donc tout payer en dollars. Or les dollars aujourd'hui, personne ne veut plus les avancer au pays des clans, des prébendes et des comptes offshores.