

Les manifs de Minsk et d'ailleurs sont inédites par leur ampleur. Les grèves massives sapent en plus la base sociale du régime. En clair, Loukachenko vit ses derniers moments... à moins que...
Manifestations historiques à Minsk, grèves dans tout le pays et cette question : le président Loukachenko cédera-t-il le pouvoir ? Même si ça reste un pari : oui, je pense que la Biélorussie est en train de vivre les dernières jours des 26 années de pouvoir absolu d'Alexandre Loukachenko. Toute cette chronique a pour but d'expliquer pourquoi.
D'abord en quoi ces manifestations sont différentes des précédentes ? Après tout, la Biélorussie en avait connu d'immenses en 2006, dans le sillage de l'Ukraine et de la Géorgie puis encore en 2011. La répression avait été rude et Loukachenko avait survécu.
Les manifestations d'aujourd'hui ne font pas que réunir les étudiants et les élites occidentalisées de Minsk ou de Brest, ancienne Brest-Litovsk. La crise économique sévère a réussi à convaincre les ouvriers de tout le pays de l'incurie du régime actuel.
Des grèves dans tout le pays
Des grèves massives, inédites et qui sapent le régime. Loukachenko, l'ancien directeur de kolkhoze, appuyait sa légitimité sur ces entreprises d'Etat à la soviétique et leurs dizaines de milliers d'ouvriers. Sans eux, c'est toute sa base sociale s'effondre.
Ça s'est vu lors de son pitoyable meeting de dimanche à Minsk : à peine quelques milliers de supporters amenés en bus alors que de l'autre côté de la capitale, des centaines de milliers d'opposants exigeaient sa démission. Sans police pour les en empêcher.
Et c'est l'autre grande différence avec les manifestions de 2006 ou de 2011 : l'armée et surtout les forces de l'ordre, qui ont d'abord réagi avec férocité, torturant et même tuant un jeune manifestant, semblent s'être retournées. Du moins pour une partie d'entre elles.
Loukachenko a appelé Vladimir Poutine
C'est le plus intéressant. Pendant des années, Loukachenko, en bon dirigeant d'une marche d'Empire, a « dansé », dit-on en russe, entre Moscou et Bruxelles, entre l'Est et l'Ouest, obtenant de l'un du pétrole à bas prix, des autres, une sorte d'indulgence.
Pour paraphraser la fable : "Je vous faisais chanter, ne vous déplaise !", dirait Loukachenko. "Eh bien, dansez maintenant", répondrait Poutine. En clair, il n'est pas sûr que Vladimir Poutine ait très envie de soutenir un homme si désagréable avec lui.
Il suffit de lire le communiqué du Kremlin suite à l'appel désespéré de Loukachenko à Moscou, ce dimanche. Le Kremlin précise qu'il soutiendra Minsk, y compris par la force, mais "contre les menaces militaires extérieures", pas en soutien du régime en place.
La leçon ukrainienne
En fait, ce que Poutine ne veut surtout pas, c'est d'un scénario à l'Ukrainienne : des manifestations massives, un leader en fuite et des petits hommes verts. Il y a peut-être à court terme gagné la Crimée et le Donbass, mais il a définitivement perdu l'Ukraine.
De plus, envoyer des chars à Minsk – même si l'on ne peut jamais écarter un coup de sang – serait la pire des situations : il entrerait dans un pays en révolution et qui dit que l'armée biélorusse ne s'interposerait pas ? Donc, le plus sage est encore d'attendre.
Si Loukachenko parvient malgré tout à survivre, Poutine sera là pour l'aider à faire le ménage. S'il tombe – ce qui est mon pari d'aujourd'hui -, il sera toujours temps de négocier avec le prochain pouvoir. Car la Biélorussie n'est pas l'Ukraine.
Les Biélorusses n'ont jamais rejeté la Russie, à l'inverse de l’Ukraine. Ils veulent conserver cette place unique - qui fait partie de leur identité – de pont entre l'Est et l'Ouest et simplement être débarrassé d'un régime caricatural qui ne leur ressemble plus.
Une dernière chose : l’Histoire résiste rarement aux analyses géopolitiques. Je ne serais pas étonné que les événements ne contredisent, une fois de plus…
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