À Bristol, dimanche, des manifestants antiracistes ont jeté à la mer la statue d'un esclavagiste du 17e siècle. En Martinique, deux statues de l’abolitionniste, Victor Schœlcher, ont été détruites. Comment traiter ces symboles d'un passé qui fait problème ? La question divise depuis des années.
Il y a les statues qu’on abat lorsque le tyran a été renversé, comme celle de Saddam Hussein, déboulonnée au centre de Bagdad en 2003. C’est simple et sans appel, et ça se passe de la même manière sur tous les continents.
Il y a ainsi près de Prague un « cimetière » des sculptures de l’ère communiste ; en Centrafrique, on peut voir une immense statue de de l’ex-empereur, Bokassa, rouiller dans les herbes folles.
Et il y a les statues devenues indésirables, voire insupportables, parce que le regard sur l’Histoire a évolué. C’est le cas de celle d’Edward Colston que des milliers de manifestants ont jetée à la mer, dimanche à Bristol, en Angleterre.
Edward Colston était transporteur d’esclaves au 17e siècle. Il a ensuite légué sa fortune à des bonnes œuvres, ce qui explique que Bristol soit imprégnée de sa mémoire. Le maire, d’origine jamaïcaine, a décidé que la statue finirait dans un musée.
C’est un phénomène antérieur à la mort de George Floyd, celafait des années que les statues et monuments symboles de l’esclavage et du colonialisme font l’objet de contestations.
C’est particulièrement vrai dans le Sud des États-Unis : on se souvient des incidents de Charlottesville, en Virginie, en 2017, lorsque des manifestants néo-nazis ont protesté contre le projet de déboulonnage de la statue du général Robert Lee, le chef des armées sudistes pendant la guerre de Sécession. Une contre-manifestante avait été tuée.
Dimanche, le Washington Post a publié une tribune signée... Robert Lee, un descendant direct du général, qui soutenait le déboulonnage de la statue de son aïeul à Richmond, ancienne capitale de la confédération sudiste.
Le Robert Lee d’aujourd’hui, devenu pasteur, explique qu’il a grandi avec le drapeau confédéré dans sa chambre d’adolescent, mais qu’il a compris, depuis, à quel point ce monument et la cause qu’il incarne empêchent le changement de mentalité nécessaire dans le pays.
Ca fait évidemment débat, sur le fond, et sur la forme. En Martinique, fin mai, la destruction de deux statues de Victor Schœlcher, un des artisans de l’abolition de l’esclavage en France, a fait polémique. Le geste a été revendiqué par un groupe estimant que l’Histoire réserve une place trop grande à Schœlcher. Fallait-il pour autant agir unilatéralement, sans discussion sur l’Histoire et son interprétation ?
À Londres, un autre débat a été lancé par des graffitis sur une statue de Winston Churchill, le traitant de « raciste ». Le parcours de l’ancien premier ministre conservateur a en effet sa part d’ombre révélée au fil du temps, mais il a aussi sa part de lumière et de gloire, comment trancher ?
Le débat relancé par l’affaire George Floyd, partout dans le monde, force les sociétés à se poser ces questions difficiles. Si elles ne le faisaient pas, collectivement, volontairement, elles risqueraient de laisser des minorités agissantes imposer leurs termes. Et diviser au lieu, comme le suggère le descendant du Général Lee, d’ouvrir une conversation pour rassembler ceux que l’Histoire a pu séparer.
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