Quelques 80 migrants d’un centre de détention près de Tripoli ont été tués dans un bombardement aérien. Un "crime de guerre" selon l’émissaire de l’ONU Ghassan Salamé. L’embargo sur les armes est systématiquement violé.
Ce sont les damnés de la terre, des victimes que personne ne protège, personne ne défend. Les dizaines de morts - hommes, femmes et enfants - du bombardement aérien, aux premières heures mercredi, du Centre de détention de migrants de Tajoura à l’Est de Tripoli, sont les victimes expiatoires d’une tragédie dont personne ne veut assumer la responsabilité. Ils font partie des dizaines, peut-être centaines de milliers de migrants venus d’Afrique et d’ailleurs, bloqués en Libye, livrés aux pires sévices et aux aléas d’une guerre civile qui a repris.
La consternation et la colère dominent dans les rangs des Nations Unies, dont les efforts de médiation comme de protection des civils se heurtent à un mur d’indifférence et de cynisme.
Le représentant spécial de l’ONU pour le conflit libyen, Ghassan Salamé, n’a pas mâché ses mots, en évoquant « un crime de guerre », contre des « innocents » qui étaient retenus dans ce bâtiment par la force. L’émissaire onusien a appelé à punir les commanditaires de ce raid, et ceux qui ont armé les auteurs de ce qu’il a qualifié de « violation claire des règles humanitaires de base ».
Ghassan Salamé n’a pas désigné explicitement les responsables de ce carnage. Mais le Conseil de sécurité de l’ONU se réunira dans quelques jours et il faut espérer que les responsabilités seront clairement établies d’ici là.
Le suspect numéro un est évidemment le général Haftar, le chef d’une des factions libyennes, et ses soutiens saoudiens, émiratis et égyptiens. Haftar a déclenché début avril une offensive pour prendre le contrôle de la capitale, Tripoli, mais nie toute responsabilité alors qu’il menaçait il y a quelques jours d’avoir recours à des bombardements aériens faute de progrès au sol.
La guerre civile qui a repris au printemps s’est singulièrement internationalisée, avec l’implication des puissances du Golfe, de l’Égypte, de la Turquie ou du Qatar, qui tous, violent allègrement l’embargo sur les livraisons d’armes aux belligérants, au vu et au su de tout le monde. Ils ont leur part de responsabilité, ainsi que ceux qui, à l’extérieur, activement ou passivement, laissent faire.
L’Europe porte une responsabilité politique majeure. Sans remonter jusqu’au renversement de Mouammar Kadhafi en 2011, elle a montré en Libye ses faiblesses, ses rivalités, son impuissance. La France et l’Italie, en particulier, n’ont pas su travailler de concert pour appuyer les efforts de médiation.
Mais surtout, l’Europe a sous-traité à une Libye sans État et sans stabilité la gestion d’un problème migratoire devenu une patate chaude politique. En interdisant les bateaux humanitaires, comme l’a montré l’ épisode du "Sea Watch" en Italie, instrumentalisé par Matteo Salvini, et en renvoyant les migrants en difficulté vers les garde-côtes libyens, l’Europe a consciemment condamné ces hommes, femmes et enfants au mieux à l’enfermement, au pire à la mort comme on vient de le voir.
Un récent rapport d’un think-tank international, Crisis Group, évoquait le « vide cosmique » de la politique européenne vis-à-vis de la Libye. La tragédie d’hier va-t-elle réveiller les Européens ?
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