

Les autorités allemandes ont identifié un navire loué par une entreprise polonaise appartenant à des Ukrainiens comme ayant pu jouer un rôle dans le sabotage des gazoducs NordStream entre la Russie et l'Allemagne, en septembre dernier. Mais elles mettent en garde contre toute conclusion hâtive.
Qui a saboté les deux gazoducs Nord-Stream 1 et 2 qui reliaient la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique ? Les célèbres gazoducs, symbole absolu de la dépendance -aujourd’hui révolue- de l’Allemagne au gaz russe, ont explosé au fond de la mer en septembre dernier. Personne n’a revendiqué cet acte en pleine guerre en Ukraine, donnant libre cours à toutes les hypothèses, les spéculations, et les inévitables théories du complot.
Voilà qu’il y a du nouveau dans l’enquête, sans pour autant apporter une réponse définitive sur l’identité ou la motivation des auteurs. L’Allemagne, qui a mené l’enquête, a révélé hier avoir identifié un navire qui a pu servir à mener l’opération. Ce bateau avait été loué par une société polonaise détenue par des Ukrainiens.
Cette piste ukrainienne a aussitôt été démentie par les autorités de Kiev. Et le gouvernement allemand a mis en garde contre toute conclusion hâtive, l’enquête est toujours en cours. Le ministre allemand de la défense, Boris Pistorius, a même évoqué le risque de voir des indices délibérément laissés pour brouiller les pistes : « c’est peut-être une opération sous un faux drapeau, a-t-il dit, ce ne serait pas la première fois dans l’histoire ».
Qui avait intérêt à détruire les gazoducs ? On s‘était posé la question en septembre, et plusieurs hypothèses étaient sur la table. J’avais personnellement évoqué celle de la Russie, car elle avait unilatéralement coupé les livraisons de gaz quelques semaines plus tôt, et jouait la carte de la panique des Européens à l’approche de l’hiver. Mais ce n’était qu’une hypothèse parmi d’autres.
Une piste américaine a eu aussi son heure de gloire : les États-Unis, selon cette thèse, voulant empêcher toute reprise des livraisons russes afin de forcer la main des Européens. Un journaliste américain, Seymour Hersh, l’a même affirmé début février : selon sa thèse, les explosifs auraient été déposés sur les gazoducs lors de manœuvres de l’Otan au cours de l’été, pour exploser en septembre.
Mais Seymour Hersh, qui a eu son heure de gloire pendant la guerre du Vietnam, a depuis beaucoup perdu en crédibilité et souvent flirté avec le complotisme. Sa thèse est en tous cas appréciée et reprise par les réseaux pro-russes.
Voilà donc une nouvelle piste pro-ukrainienne, à prendre là encore avec des pincettes.
Pourquoi cette affaire a-t-elle tant d’importance ? Dans un conflit de cette ampleur, la bataille des opinions publiques est centrale. L’aide financière et militaire massive qu’apportent les Occidentaux à l’Ukraine, face à l’invasion russe, repose sur un soutien majoritaire et durable des citoyens des pays qui contribuent. Qu’un doute émerge sur les motivations ou les actes de l’un des acteurs du conflit, et ce soutien risque d’être menacé.
Les guerres informationnelles, invisibles mais bien réelles, se nourrissent de ces doutes. Il est donc capital que la vérité soit établie. La bonne nouvelle de cet épisode est justement qu’une enquête est en cours et qu’elle avance. L’Allemagne, mais aussi la Suède et le Danemark, riverains de la Baltique, avaient annoncé des enquêtes mais on n’en entendait plus parler.
Les éléments révélés hier sont évidemment insuffisants pour tirer des conclusions. Ils posent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Mais on peut désormais espérer en savoir plus un jour. C’est indispensable.
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