

La veuve de Jouvenel Moïse accuse les opposants politiques de son mari, mais pour de nombreux Haïtiens, le meurtre porte la signature des mafias qui gangrènent Haïti. La situation est rendue plus dangereuse par les gangs armés.
Crime politique ou règlement de comptes mafieux ? Ou les deux ? Cinq jours après l’assassinat du Président haïtien Jouvenel Moïse, dans sa résidence de Port-au-Prince, le mystère reste entier sur les raisons de son élimination, y compris sur le rôle réel des mercenaires colombiens tués ou arrêtés. Et rien de ce qui se déroule actuellement dans le pays ne permet d’être réellement optimiste sur son avenir.
La veuve du Président assassiné, Martine Moïse, elle-même grièvement blessée dans l’attaque nocturne et hospitalisée aux États-Unis, a diffusé hier un message enregistré qui accuse, sans les nommer, les opposants politiques de son mari. Elle parle d’« ennemis de l’intérieur », et promet de poursuivre son action.
Mais pour beaucoup d’Haïtiens, le mode opératoire des assassins de Jouvenel Moïse, y compris la typologie des impacts de balles sur son corps, porte plutôt la signature d’une piste criminelle, mafieuse. « Comme un règlement de comptes entre des gangs rivaux, comme un châtiment pour trahison », écrit un blogueur haïtien.
L’influence des mafias est en effet considérable, et c’était l’un des griefs de l’opposition et de la société civile contre Jouvenel Moïse. Son nom est régulièrement cité dans plusieurs affaires, dont un scandale majeur concernant l’importation de pétrole du Venezuela, et Haïti est devenu une plaque tournante du trafic de drogue.
De plus, et c’est l’une des causes d’inquiétude les plus fortes de la population haïtienne, les gangs criminels font régner la terreur dans les villes du pays, se livrant à des kidnappings et des trafics en tous genres. Des dizaines de gangs armés dont certains ont des ramifications jusqu’au sommet de l’État.
Le plus connu des chefs de gangs, l’ancien policier Jimmy Cherizier, plus célèbre sous le nom de guerre de « Barbecue », a menacé de lâcher ses hommes dans la rue pour protester contre l’assassinat. Dans une vidéo sur laquelle il apparait vêtu d’un uniforme kaki, « Barbecue » parle d’une « conspiration nationale et internationale » contre Haïti, et dénonce la « bourgeoisie puante » qu’il accuse d’avoir « sacrifié » le président.
On est à front renversé, voilà un chef de gang qui défend l’ordre établi contre ceux qui sont d’ordinaires les tenants de la stabilité. Un bon résumé de la confusion actuelle.
La communauté internationale peut-elle aider ? C’est un énorme point d’interrogation. Le gouvernement, avec le peu de légalité qui lui reste, a demandé aux États-Unis d’envoyer une force pour aider à stabiliser Haïti. Washington n’a pas encore répondu, mais on imagine mal Joe Biden, qui est en train de retirer son armée d’Afghanistan et qui est par principe réticent aux interventions militaires extérieures, s’engager dans une opération à très hauts risque.
Envoyer l’armée américaine contre les gangs de Port-au-Prince, servir de cible et très rapidement de bouc émissaire à tous les maux du pays, ça n’est pas très attrayant. D’autant qu’Haïti sort à peine du traumatisme des dérapages d’une force de casques bleus de l’ONU, accusée d’avoir amené le choléra dans le pays, et de s’être livrés à des abus sexuels sur la population.
Le principal risque aujourd’hui, dans le vide institutionnel laissé par l’assassinat du Président, est de voir Haïti s’enfoncer dans son sort d’État en faillite, sous le contrôle direct ou indirect de gangs criminels.
Inquiets de cette perspective, de nombreux Haïtiens font désormais le siège du Consulat américain pour demander l’asile politique. Un signe inquiétant de plus.
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