

Pour avoir signé une déclaration commune demandant la libération d’un prisonnier célèbre, Osman Kavala, dix ambassadeurs dont le Français et l’Américain, sont menacés d’expulsion. Pourquoi cette colère contre les alliés de la Turquie ?
Avec des alliés comme ça, qui a besoin d’ennemis ? Le Président turc Recep Tayyip Erdogan nous a habitués à ses sorties provocantes, comme lorsqu’il avait mis en doute la santé mentale d’Emmanuel Macron…
Mais là, il fait fort en annonçant publiquement son intention d’expulser dix ambassadeurs en poste à Ankara, dont ceux des États-Unis, de France, d’Allemagne, bref, des principaux partenaires de la Turquie. Sept des dix ambassadeurs représentent des pays membres de l’OTAN, l’alliance militaire dont la Turquie est également membre, du jamais vu !
Leur crime ? Avoir signé lundi dernier une déclaration demandant à Ankara de libérer un prisonnier politique célèbre, Osman Kavala, personnalité de la société civile, détenu depuis quatre ans en dépit d’un acquittement et de décisions de justice internationales. Cette démarche commune des alliés de la Turquie a déclenché la colère du Président Erdogan.
On peut voir deux raisons différentes à cette colère : l’une internationale, l’autre intérieure. La première est que Erdogan considère que la Turquie est devenue un acteur majeur, une puissance régionale qui doit désormais être respectée comme telle. Finies les leçons de morale paternalistes des Occidentaux sur les droits de l’homme, c’est ce que signifie ce coup d’éclat. « Ils vont apprendre à connaître la Turquie », a déclaré Erdogan à la foule, pour justifier sa décision.
Le problème est qu’il rebondit sur un mauvais sujet : le cas d’Osman Kavala est emblématique d’une machine répressive devenue folle depuis le coup d’état manqué de 2016. Cet homme d’affaires philanthrope est accusé de subversion, ce que même une justice aux ordres n’arrive pas à prouver.
Plus embarrassant, la Cour européenne des droits de l’homme, issue du Conseil de l’Europe dont fait partie la Turquie, a demandé en décembre 2019 la « libération immédiate » d’Osman Kavala. Début octobre, une nouvelle audience d’un tribunal turc a refusé de le remettre en liberté, suscitant la démarche des ambassadeurs.
Sur le plan intérieur, le Président turc doit faire face à une situation économique inquiétante : la Lire turque est en chute libre en raison de la politique monétaire erratique du pays ; l’inflation est repartie à la hausse, et la population s’inquiète de son pouvoir d’achat. Quoi de mieux qu’un bouc émissaire étranger pour l’accuser de comploter contre la Turquie ?
C’est un jeu classique de la part d’un homme politique inquiet. Recep Tayyip Erdogan a perdu les mairies d’Istanbul et d’Ankara au profit de l’opposition, et il sait que les prochaines élections générales, en 2023, seront âprement disputées. Il joue sur la corde nationaliste, au risque de se tirer une balle dans le pied en provoquant une crise parfaitement inutile avec des pays qui sont, au passage, les principaux partenaires économiques de la Turquie.
Mais Erdogan incarne à merveille ce courant qui aspire à un monde post-occidental, et il mène depuis plusieurs années un jeu d’équilibriste, un pied dans l’OTAN, un autre à Moscou, un troisième à Kaboul ou Tripoli… Il faut être très souple, et très habile.
L'équipe
- Production