Au Cameroun, le meurtre d’un journaliste se transforme en crise de régime

Mémorial pour le journaliste assassiné Martinez Zogo, à Yaoundé.
Mémorial pour le journaliste assassiné Martinez Zogo, à Yaoundé. ©AFP - Daniel Beloumou Olomo / AFP
Mémorial pour le journaliste assassiné Martinez Zogo, à Yaoundé. ©AFP - Daniel Beloumou Olomo / AFP
Mémorial pour le journaliste assassiné Martinez Zogo, à Yaoundé. ©AFP - Daniel Beloumou Olomo / AFP
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La découverte du corps mutilé du journaliste Martinez Zogo a choqué le Cameroun. Les arrestations, dans les services du contre-espionnage ou d’un homme d’affaires en vue, sidèrent et inquiètent : il pourrait s’agir d’un épisode de la fin de règne d’un président au pouvoir depuis 40 ans.

Martinez Zogo était journaliste à Amplitude FM, une radio indépendante dans la capitale du Cameroun, Yaoundé, connu pour ses dénonciations de la corruption. Le corps de cet homme de 51 ans a été retrouvé le 22 janvier, mort et surtout, sévèrement mutilé. Depuis, le Cameroun est plongé dans la peur, et une profonde crise de régime, potentiellement fatale.

Hier, l’un des hommes d’affaires les plus en vue du pays, Jean-Pierre Amougou-Belinga, a été arrêté à son domicile par une centaine d’agents de la sécurité, qui ont d’abord du maîtriser sa dizaine de gardes du corps. Il est soupçonné d’être le commanditaire du meurtre du journaliste.

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Mais il n’est pas seul : de nombreuses autres arrestations ont eu lieu ces derniers jours, dont le patron du Contre-espionnage camerounais, ainsi que plusieurs membres des services de renseignement. Reporters sans frontières, qui a enquêté, rapporte avoir vu la déposition du Directeur des opérations spéciales du contre-espionnage, Justin Danwe, qui reconnait son implication ; ce qui fait dire à l’organisation dans un communiqué qu’il s’agit d’un « crime d’État ».

D’autres journalistes seraient menacés, dont Haman Mana, directeur du quotidien « Le Jour », que Martinez Zogo était allé voir quelques jours avant sa disparition et lui avait dit qu’on voulait le tuer, et qu’il était le suivant sur « la liste ».

S’il ne s’agissait que de règlements de compte autour d’affaires de corruption, ça serait déjà passablement sordide ; mais tout semble indiquer que ça va bien au-delà, que nous sommes dans un épisode de la guerre de succession qui se déroule au Cameroun.

Le Président du pays, Paul Biya, va célébrer dans quelques jours ses 90 ans, dont plus de 40 passés à la tête du pays, un record ! Ca fait longtemps qu’il est devenu un « intérimaire » du pouvoir, effectuant de longs séjours en Suisse, réunissant une ou deux fois par an seulement le Conseil des ministres. Cette éclipse laisse une place immense aux entourages qui se disputent l’influence, dont le tout-puissant Secrétaire Général de la Présidence Ferdinand Ngoh Ngoh.

Il est encore trop tôt pour savoir comment ce meurtre et ces arrestations s’inscrivent dans les grandes manœuvres qui anticipent sur la disparition du chef de l’État camerounais. Mais l’enjeu est suffisamment important pour qu’on tue, qu’on dénonce, qu’on trahisse.

Le Cameroun est un pays-clé d’Afrique centrale, que personne n’a intérêt à voir s’enfoncer dans une instabilité plus grande encore que celle dans laquelle le place cette interminable fin de règne.

Le nord, en bordure du lac Tchad, est confronté aux djihadistes de Boko Haram. L’Ouest, anglophone, est en proie à une guerre civile qui ne dit pas son nom depuis des années, en raison du non-respect des promesses fédérales. Et les richesses du pays sont captées par une oligarchie prédatrice.

Et pourtant, c’est un pays pétrolier, agricole, et modestement industriel qui pourrait figurer parmi les locomotives du continent. Son sort inquiète suffisamment ses partenaires pour qu’Emmanuel Macron y soit allé l’été dernier, au risque d’apparaître comme un soutien de Paul Biya qu’il a beaucoup critiqué par ailleurs.

La semaine dernière, plusieurs personnalités camerounaises de la diaspora comme de l’intérieur lançaient un appel, dans une tribune dans le quotidien Le Monde, en faveur d’un dialogue national avant, disaient-elles, « que la catastrophe n’advienne ». On peut se demander si la catastrophe n’a pas déjà commencé.