La transition démocratique qui a succédé à la chute du dictateur Omar al-Bachir en 2019 a pris fin hier avec un coup d’état militaire. Comme ailleurs dans le monde arabe, la contre-révolution l’emporte – pour l’instant.
Le Soudan était l’une des toutes dernières tentatives de démocratisation encore en cours dans le monde arabe. Hier, des militaires y ont mis fin par un coup d’état contre le gouvernement de transition issu de la révolution de 2019 qui avait renversé la dictature d’Omar el-Bachir. Les militaire putschistes se sont heurtés à un début de résistance de la population dans la rue, et il y a eu des victimes.
Cette transition était des plus fragiles ; elle devait déboucher sur l’organisation d’élections, mais peu d’observateurs, il y a déjà quelques mois, pariaient sur la possibilité d’y parvenir sans accrocs. C’était un délicat compromis entre la société civile et les généraux de l’ancien régime. Le premier ministre de transition, Abdallah Hamdock, parlait d’un « partenariat paradoxal » entre civils et militaires, entre révolutionnaires et anciens bourreaux.
Le paradoxe a pris fin hier : le chef du gouvernement, un économiste ayant travaillé pour les Nations Unies, a été arrêté et emmené dans un lieu inconnu pour avoir refusé de coopérer. Plusieurs autres dirigeants civils ont été arrêtés, l’internet a été coupé, la radio et la télévision ne diffusent plus que de la musique, et des nervis au service des putschistes sillonnent la capitale.
Le leader de la junte qui a annoncé en uniforme kaki la dissolution des instances de transition est le général Abdel Fattah al-Burhan, qui incarnait la partie militaire dans cette mésalliance avec les civils. Cet ancien chef discret de l’armée de terre est apparu au premier plan après l’éviction du dictateur al-Bachir en avril 2019 : il avait été nommé à des fonctions équivalentes à celles de chef de l’État.
Les militaires sont désormais seuls aux commandes, débarrassés de l’aiguillon de la société civile. Ils vont pouvoir sauver l’important secteur industriel lié à l’armée, et dont les civils voulaient les priver. Cette dimension économique n’est pas indifférente.
Ils s’assurent aussi une impunité pour les crimes du passé : le numéro deux de l’appareil militaire, Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemedti », était le chef d’une force paramilitaire accusée de nombreux massacres, y compris à Khartoum pendant la révolution de 2019. Il avait de quoi redouter une justice plus incisive à l’issue de la transition.
Mais les Soudanais sont un peuple combattif, ils l’ont montré à plusieurs reprises dans leur histoire, et ils ont une société civile très structurée. Mais les militaires semblent déterminés et il y aura, au minimum, une période durable de confusion.
Même s’il était dans l’air, ce coup d’État a pris le monde par surprise : un émissaire américain était sur place la veille pour tenter de calmer le jeu, et une Commissaire européenne était dans l’avion pour Khartoum quand le putsch s’est déroulé. La Communauté internationale condamne le coup d’état, mais son influence risque d’être limitée.
Le coup d’arrêt à la transition complète ce qu’il faut bien appeler l’échec d’une double vague de mouvements anti-autoritaires dans le monde arabe : en 2011 à partir de la révolution tunisienne, puis après 2018 dans plusieurs pays, Liban, Algérie, Soudan.
Ce cycle touche à sa fin, en Tunisie cet été avec la confiscation de tous les pouvoirs par le Président Kaïs Saïed ; aujourd’hui au Soudan. Les contre-révolutions l’emportent, même si ça ne marque certainement pas la fin des aspirations des nouvelles générations du monde arabe à des sociétés plus libres.
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