

La possibilité de livrer des avions de combat à l’Ukraine divise les Occidentaux, comme les autres types d’armes précédemment. Les Ukrainiens ont compris que les refus d’aujourd’hui peuvent être les feux verts de demain, et alimentent ces débats publics.
Dans quelle autre guerre a-t-on autant négocié sur la place publique les livraisons d’armes aux belligérants ? Lundi, un journaliste a demandé à Joe Biden s’il comptait fournir des avions de combat F-16 à l’Ukraine ; il a répondu « non ». Quelques heures plus tard, on a posé la même question à Emmanuel Macron, à propos d’avions de combat français. Sa réponse : « il n’y a pas de sujet tabou ».
En visite hier à Paris, le ministre de la Défense ukrainien, Oleksïï Reznikov, a rappelé qu’il y a un an, les États-Unis lui avaient refusé des livraisons de missiles sol-air Stinger. Onze mois plus tard, Washington livre des chars lourds, en plus de tout le reste. Les refus d’un jour sont les feux verts de demain : c’est un peu la leçon que semblait tirer le très pragmatique ministre.
S’il ne repartira pas encore avec des Mirage 2000, le ministre ukrainien n’a pas perdu son temps à Paris. Il a obtenu de la France 12 canons Caesar supplémentaires, ces pièces d’artillerie longue portée qui ont fait leurs preuves en Ukraine, ainsi qu’un système de radar Thalès, et l’envoi de 160 formateurs français en Pologne. Au passage, on a appris que le fabricant du Caesar, le groupe Nexter, avait augmenté sa capacité de production pour répondre à la demande.
Pourquoi une telle transparence ? Nous sommes évidemment dans un contexte inédit. Personne n’avait prévu cette guerre en Europe, et encore moins que les armées de l’Otan allaient devoir alimenter massivement l’armée ukrainienne.
Le débat public sur les armes a donc lieu depuis le premier jour, sur chaque catégorie d’armement nouvelle fournie à l’Ukraine ; avec ce frisson permanent de se demander si une « ligne rouge » ne sera pas franchie. La publicité est à la fois un moyen pour l’Ukraine et ses amis de faire pression sur les gouvernements les plus hésitants -on l’a vu autour des chars allemands la semaine dernière- ; et de tester les réactions de Moscou.
C’est aussi un moyen d’associer les opinions publiques à un effort de guerre qui coûte cher et peut inquiéter sur les risques d’escalade. En parler dédramatise, même si ça a l’inconvénient de tenir Moscou informé des prochaines capacités ukrainiennes.
Comment va se conclure le débat sur les avions ? A chaque étape, deux questions se posent. La livraison d’un nouveau matériel change-t-il la nature de notre engagement ? En d’autres termes, risquons-nous la « cobéliggérance » ? Et la question de la capacité des Ukrainiens à l’utiliser.
Les avions posent un problème différend des chars : ils pourraient être employés pour attaquer le territoire russe, et donc constituer un casus belli pour Moscou. Hier, lors de leur conférence de presse, le ministre ukrainien et son homologue français, Sébastien Lecornu, ont lourdement insisté sur la dimension défensive de l’aviation. Il est probable que si la France finit par fournir des Mirage 2000 à l’Ukraine, ce sera avec des règles d’engagement très claires.
Si les États-Unis ne livreront pas de F-16, il reste à voir s’ils interdiront à d’autres pays de le faire, les Pays-Bas ou la Pologne, qui en possèdent et seraient prêts à franchir le pas. Les refus d’aujourd’hui sont les feux verts de demain, l’Ukraine l’a bien compris.
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