

Dans son discours lundi soir, annonçant la reconnaissance des deux Républiques séparatistes de l’Est de l’Ukraine, Vladimir Poutine a fait un long exposé historique qui tend à nier à ses voisins ukraniens leur identité et même leur existence en tant que nation. Inquiétant.
Les historiens ont de quoi faire avec le discours d’anthologie prononcé lundi soir par Vladimir Poutine. Alors qu’il s’apprêtait à dépecer son voisin ukrainien d’un nouveau morceau de territoire, pour la deuxième fois après la Crimée annexée en 2014, le Président russe s’est lancé dans une longue explication historique confuse et inquiétante.
Poutine s’adressait aux Russes pour leur expliquer pourquoi il envoyait l’armée chez son voisin ; mais, aux oreilles ukrainiennes, ce discours sonnait comme une négation de leur identité, et même de leur droit à l’existence. Un récit historique révisionniste, qui permet de justifier que si l’Ukraine n’existe pas, ou ne fait qu’une avec la Russie, celle-ci est autorisée à agir comme bon lui semble, y compris par la force.
Pour Vladimir Poutine, « l’Ukraine moderne a été entièrement créée par la Russie, plus précisément par la Russie bolchévique et communiste ». Lénine, Staline, Khrouchtchev, ont successivement façonné l’Ukraine en « arrachant », ce sont ses mots, des « parties de territoire historique » à la Russie.
Comme toutes les manipulations historiques, il y a une part de vérité dans le modelage des républiques soviétiques par les apprentis-sorciers qui ont dirigé l’URSS. Mais, sans entrer dans les méandres d’une histoire complexe, Poutine ignore la longue maturation du sentiment national ukrainien, pour n’en retenir que la version soviétique, personne ne sera réellement surpris.
Dans un livre paru cet automne (« L’Ukraine, de l’indépendance à la guerre », éd. Le cavalier bleu, 2021), l’universitaire spécialiste de l’Ukraine Alexandra Goujon souligne que « le nationalisme ukrainien se développe au 19ème siècle à l’image du réveil national des autres peuples d’Europe, mais ne trouve à se concrétiser dans une forme étatique qu’à la fin du 20ème siècle ». Nuance, donc.
En 1991, à l’éclatement de l’URSS, un référendum s’est tenu en Ukraine sur l’indépendance, avec des scores favorables à plus de 80% partout, sauf en Crimée, cas à part. Le Donbass, au cœur de la crise actuelle, pourtant russophone, a lui aussi soutenu l’indépendance de l’Ukraine.
On voit bien qu’on est passé d’une revendication initiale de « garanties de sécurité » ou du rôle de l’OTAN, à une diatribe envers un voisin dont on nie l’identité. Cela pose un immense problème car il n’aurait donc pas droit à la souveraineté qui est la base du système international.
Ca pose bien sûr la question des frontières, qui ne sont dès lors plus intangibles. Cette ambiguïté est d’ailleurs au cœur de la reconnaissance des républiques séparatistes, et hier, Vladimir Poutine a apporté son soutien aux revendications territoriales en Ukraine des deux entités qu’il vient de reconnaître. S’il met cette menace à exécution, c’est la garantie d’une guerre généralisée avec l’Ukraine.
Pour comprendre l’enjeu, il suffit d’écouter un conseil venu d’Afrique, de l'ambassadeur du Kenya à l’ONU qui a expliqué, lors du débat sur l’Ukraine, comment le continent africain a choisi, il y a 60 ans, de respecter les frontières héritées de la colonisation pour s’épargner des conflits sans fin. L’Afrique a, sur ce point, une leçon de sagesse à donner à Vladimir Poutine. Le Président russe semble toutefois trop immergé dans son dangereux rêve révisionniste pour l’entendre.
L'équipe
- Production