

Emmanuel Macron passe au-dessus de la tête des chef d’État africain pour s‘adresser à la jeunesse du continent ; mais la France a de nombreux handicaps pour changer la perception de sa politique.
Est-ce le même Emmanuel Macron qui se trouvait en avril dernier aux funérailles du Président tchadien Idriss Déby, apportant sa caution à la prise de pouvoir du propre fils du leader mort au combat… Et celui qui, aujourd’hui à Montpellier, s’adressera, par-dessus la tête des despotes, à la jeunesse africaine avec laquelle il souhaite réinventer les rapports franco-africains ?
Ces deux images résument le dilemme de la politique française, piégée par l’héritage lourd et encombrant de la colonisation et surtout, paradoxalement, de l’ère post-coloniale ; incapable de se faire entendre lorsqu’elle dit qu’elle veut changer quand le réel la rattrape trop souvent. Au début de son mandat, Emmanuel Macron avait lancé un appel à la jeunesse à Ouagadougou, au nom d’un Président trop jeune, disait-il, pour avoir à assumer un passé qui passe mal.
Quatre ans et beaucoup de désillusions plus tard, il fait une nouvelle tentative originale, avec ce sommet sans chefs d’État, accompagné des recommandations d’un des intellectuels africains les plus respectés, Achille Mbembe, Camerounais d'origine, professeur à l'Université du Witwatersrand à Johannesburg, qu’on a entendu hier au micro de Léa Salamé.
Quel peut-être l’impact de cette rencontre ? Les perceptions, les images, ne changent pas d’un jour à l’autre, et une conférence ne peut transformer à elle seule une situation aussi complexe. C’est donc un travail de longue haleine, dans lequel la France a, pour l’heure, plus de handicaps que d’atouts.
Le principal handicap, c’est cet entre-deux historique dans lequel la France traite avec l’Afrique qu’elle a, il faut bien le dire, contribué à façonner, celle des Paul Biya, l’autocrate du Cameroun au pouvoir depuis 1982, Emmanuel Macron avait à peine 5 ans… Ou de Denis Sassou Nguesso, qui lui dispute le record de longévité.
Dans un entretien avec Antoine Glaser et Pascal Airaud, les auteurs d’un livre paru il y a quelques mois, « le piège africain de Macron » (ed. Fayard, 2021), le Président citait l’exemple de Paul Biya : « je ne vais pas intervenir militairement pour le sortir du pouvoir », disait-il, avant d’ajouter, « on va mettre dix ans à changer les choses ». En attendant, la perception demeure que Paris protège les autocrates du continent.
Parmi les propositions d’Achille Mbembe, il en est une qui peut faire bouger les chose, c’est la création d’une structure d’aide aux sociétés civiles africaines ; afin d’aider la frange la plus dynamique de la jeunesse à se réaliser indépendamment d’États autoritaires. Il y a une part de risque, mais le statu quo en comporte également.
Mais il est un autre handicap dont les Français ne semblent pas conscients : c’est l’impact des débats franco-français sur l’immigration, l’identité, l’histoire. La classe politique française parle comme si personne n’écoutait à l’extérieur, comme si les mots blessants n’affectaient pas l’image de la France, comme si on pouvait d’un côté tendre la main à l’Afrique, et de l’autre la tenir à distance.
Une anecdote personnelle : j’étais dans un taxi parisien originaire d’un pays africain cette semaine, qui écoutait à la radio la litanie des discours anti-immigration. Comme je m’étonnais qu’il écoute ça, il me répondit : « je veux savoir comment ils parlent de nous ». A méditer en entendant les beaux discours de Montpellier.
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