Personne n’est irremplaçable mais cet homme-là cumulait de rares qualités. Démissionnaire depuis ce week-end du poste de Premier ministre palestinien qu’il avait occupé plus de cinq ans, formé à l’Université américaine de Beyrouth et ancien haut fonctionnaire du Fonds monétaire international, Salam Fayyad était parvenu à mettre de l’ordre dans l’économie d’un pays sous occupation, à en réduire la corruption, à y bâtir une administration digne de ce nom et à y donner confiance aux entrepreneurs, aux pays étrangers et aux organisations financières internationales qui, tous, ne juraient plus que par lui.
C’est très largement grâce à cet homme que la Cisjordanie connaissait depuis plusieurs années un boom économique visible à l’œil nu et que la Banque mondiale et le FMI avaient estimé, dès 2011, que la Palestine était désormais en mesure de devenir un Etat, solide et fiable. Seulement voilà, tout cycle économique a une fin et c’est au moment où ce boom donnait ses premiers signes d’essoufflement qu’Israël, après la reconnaissance de la Palestine par l’Assemblée générale de l’Onu, a pris des mesures de représailles en cessant de reverser à l’Autorité palestinienne les droits de douane qu’il perçoit en son nom.
Les comptes de l’Autorité palestinienne en sont immédiatement passés au rouge et c’est alors que les prix augmentaient et que l’emploi se raréfiait que Salam Fayyad s’est trouvé en situation de ne plus pouvoir payer ses fonctionnaires qu’avec des retards toujours plus longs. La tension sociale en est montée. Les manifestations de mécontentement se sont multipliées. Immensément populaire il y a encore peu, ce Premier ministre a beaucoup perdu de ses soutiens. Ses relations avec Mahmoud Abbas s’en sont détériorées et il y a déjà plusieurs semaines que la démission du Premier ministre était dans l’air car il était devenu trop isolé pour pouvoir continuer d’assumer ses fonctions.
Le paradoxe est qu’il s’en va au moment même où les Etats-Unis tentent de relancer le processus de paix et viennent d’exercer suffisamment de pressions sur les Israéliens pour qu’ils aient recommencé à reverser aux Palestiniens les sommes qu’ils leur doivent. Salam Fayyad allait pouvoir reprendre pied mais, s’il a tout de même jeté l’éponge sans que son Président, Mahmoud Abbas, n’ait rien fait pour le retenir, c’est qu’il avait fini par prendre trop de place.
Interlocuteur favori des Occidentaux, américains et européens, il était susceptible, dans une reprise du processus de paix, de rapidement s’imposer en vrai chef de file de la Palestine et de faire ainsi autant d’ombre à Mahmoud Abbas qu’aux islamistes du Hamas pour une fois tous d’accord pour l’écarter.
C’est le potentiel chef d’un Etat virtuel qui a été en fait poussé à se retirer parce que le Hamas comme le Fatah, le parti de Mahmoud Abbas, ne voulaient pas que cet indépendant puissent leur ravir la vedette.
Personne n’est indispensable. La Palestine a d’autres fonctionnaires compétents mais personne d’autre que Salam Fayyad n’avait à la fois la formation nécessaire au poste qu’il occupait, l’expérience acquise et d’aussi solides réseaux dans tous les milieux socio-professionnels. La Palestine, et la paix avec elle, viennent de perdre un grand atout.
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