Berceau des printemps arabes, la Tunisie en était devenue le pays-test. Si elle même ne parvenait pas à trouver un compromis entre ses laïcs et ses islamistes, si elle n’évitait ainsi pas de sombrer dans le chaos, les espoirs de démocratisation des rives méridionales et orientales de la Méditerranée étaient alors remis à des jours plus que lointains. Si elle continuait à montrer l’exemple, si le dialogue politique et les concessions réciproques l’emportaient à Tunis sur l’engrenage de la violence, elle pouvait au contraire devenir un modèle dont le monda arabe puisse s’inspirer et c’est ce qui se passe aujourd’hui.
Ce fut rude et incertain mais, après l’assassinat l'année dernière de deux figures du camp laïc par les franges les plus illuminées du fanatisme religieux et les manifestations qui s’étaient ensuivies, Ennahda, le parti islamiste au pouvoir, a accepté de céder la place, malgré sa majorité parlementaire, à une équipe de transition chargée d’organiser de nouvelles élections. De la part de ce parti, c’était une preuve de réalisme. Il avait su voir que, sans ce geste, il aurait mené la Tunisie au chaos et tout perdu avec elle mais encore fallait-il – c’était l’accord – rédiger une Constitution avant que cette transition ne se mette en place. C’était tout sauf fait mais, au quatrième jour de débats souvent houleux, Ennahda a accepté hier d’inscrire l’égalité entre hommes et femmes dans la loi fondamentale. « Tous les citoyens et les citoyennes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune », dispose l’article 20 du projet de Constitution adopté à la quasi-unanimité.
Un verrou vient de sauter mais ce n’est pas le seul puisque les élus d’Ennahda ont également accepté de renoncer à faire de la religion la source du droit, de garantir « les libertés d’opinion, de pensée, d’expression et d’information », de faire de l’Etat le « garant de la liberté de conscience » et de maintenir tel qu’il était l’article premier de la première Constitution tunisienne qui définissait déjà ce pays comme une « Etat libre, indépendant et souverain » dont « l’islam est la religion », « l’arabe, la langue » et « la République, le régime », un régime « civil », est-il précisé, autrement dit laïc et non pas religieux.
Bien d’autres articles restent à rédiger mais le plus délicat est passé. La démocratie paraît prendre bel et bien corps en Tunisie et cela est tout aussi bien dû aux germes de modernité semés par l’immense homme d’Etat qu’avait été Habib Bourguiba, son premier président, qu’à la constante mobilisation des femmes et de laïcs tunisiens et qu’à la sagesse aussi des dirigeants les plus éclairés d’Ennahda. Le fait est que les islamistes tunisiens ont effectivement renoncé à la tentation de faire de ce pays une théocratie et préféré travailler à s’inscrire sur l’échiquier politique comme un grand parti « islamo-conservateur », religieux mais respectueux de l’état de droit.
C’est une raison d’espérer d’autant plus grande qu’en Egypte une révolte populaire a chassé du pouvoir des islamistes beaucoup moins ouverts et qu’en Syrie les laïcs et les islamistes modérés se sont maintenant alliés pour chasser les djihadistes des rangs de l’insurrection.
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