Retour sur une interview du leader tchétchène Kadyrov à la télévision russe...
C'était donc il y a deux jours et Ramzan Kadyrov a annoncé, je cite : « qu'il était temps pour le gouvernement russe de le remplacer à la tête de la Tchétchénie ». Je cite toujours : « mon temps est passé. Tout le monde atteint ses limites et j'estime que j'en suis là ».
Je vais essayer de résumer pour nos auditeurs pourquoi cette annonce qui prend tout le monde en Russie au dépourvu est extraordinaire. Commençons par établir le pédigrée du bonhomme : Kadyrov et d'abord et avant tout, le fils de son père, Akhmad Kadyrov.
D'abord chef des indépendantistes tchétchènes, il s'est finalement rallié à Moscou, ce qui lui a valu en 2004 d'être assassiné dans un attentat. Son fils Ramzan lui a donc succédé par la grâce de Moscou alors qu'il n'avait même pas 30 ans.
En dix ans de pouvoir, il s'est illustré de deux façons : par sa cruauté dans sa petite république caucasienne et par son allégeance à Vladimir Poutine. D'un côté la torture, les prisons secrètes, les assassinats, de l'autre le petit doigt sur la couture du pantalon.
Mais alors pourquoi Poutine se priverait-il d'un allié pareil ?
C'est toute la question ! En dix ans, il a « fait le job », version Kremlin. Bien sur l'invraisemblable bling bling de Kadyrov, sa mise en coupe réglée avec relents islamistes de la Tchétchénie ne plaisent pas à tout le monde à Moscou. On s'y pince parfois le nez.
Mais pour le reste, il a détruit toute opposition interne et il a même mis sur pied une garde prétorienne de 30 000 hommes qui lui entièrement dévoué et qui sème la terreur en Tchétchénie. Mais il y a toujours un moment où la créature échappe à son créateur.
Et c'est probablement ce qui vient de se passer pour Kadyrov. Parce qu'il est impossible d'imaginer qu'à 39 ans, Ramzan Kadyrov ait annoncé son retrait de la vie publique sans y avoir été poussé par le Kremlin, qui a dû se montrer très persuasif.
Alors qu'est-ce qui a changé ? Eh bien, ce qui a changé s'est le meurtre, il y a un an pile de l'opposant au Kremlin Boris Memtsov. La police russe a arrêté cinq hommes, des lampistes, tous Tchétchènes dont un exécuteur attitré des basses œuvres de Kadyrov.
Vous voulez dire que c'est l'assassinat de trop ?
C'est un tout. D'abord, Kadyrov coûte cher à la Russie qui paie tout en Tchétchénie dans une période où un rouble est un rouble. Ensuite, le pouvoir lui est monté à ta tête : par exemple, il passe son temps à insulter l'opposition démocratique sur Internet.
Pas plus tard qu'en janvier dernier, il a organisé une manifestation monstre sur la place centrale de Grozny, la capitale tchétchène, pour lui tout seul ! La dernière qu'il en avait organisé une c'était contre Charlie Hebdo, juste après l'attentat, en janvier 2015.
Si vous ajoutez à cela le meurtre de la journaliste Anna Politkovskaja, en 2006 - beaucoup d'indices mettent à lui - et le fait que les Russes se battent aussi contre des islamistes Tchétchènes en Syrie : trop c'est trop, comme dirait Martine Aubry.
Maintenant, il y a une dernière hypothèse : celle de la minauderie. Quelque chose comme « retenez-moi ou je fais un malheur ! ». Il y a d'ailleurs dans cette interview à la télé russe une forme de menace à peine voilée :
A la fin, à la question de savoir qu'elle sera son avenir loin du pouvoir, il répond : « si c'est nécessaire, je prendrai un sac à dos, une pelle pour creuser et un revolver. Je suis toujours près ». Vous je ne sais pas, mais moi ça me fait froid dans le dos, non ?
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