Aucune ONG russe n’est plus à l’abri de ces « raids », pour reprendre le mot de Mme Ashton, la chef de la diplomatie européenne. Tantôt, ce sont de petits mouvements locaux de défense de l’environnement qui voient leurs locaux perquisitionnés tandis qu’on épluche leurs comptes et exige d’eux des certificats de conformité à des règlements inconnus.
Tantôt, ce sont les branches russes de grandes organisations internationales de défense des droits de l’homme comme Amnesty ou Human rights watch. Tantôt encore ce sont des organisations, purement russes, comme Memorial qui s’était fondée pour rendre justice aux victimes des répressions staliniennes et s’intéresse désormais aux répressions d’aujourd’hui. Tantôt, enfin, ce sont les bureaux de grandes fondations politiques étrangères, comme les fondations démocrate-chrétienne et social-démocrate allemandes, ou même, mais oui, l’Alliance française dont le seul objectif est d’enseigner le français.
Toutes ces organisations sont à la même enseigne, victimes du même harcèlement administratif et policier, car elles ont le tort commun de permettre à des citoyens russes de se retrouver et de se faire entendre autour de causes ou d’intérêts communs, de faire exister une société civile et une opinion russes et d’incarner ainsi ce qui est la peur obsessionnelle, et justifiée, de M. Poutine.
Réélu président il y a treize mois après avoir dû, pour des raisons constitutionnelles, laisser Dmitri Medvedev exercer un mandat d’intérimaire, le maître de toutes les Russies contrôle la police, la justice, l’armée, la Banque centrale, la télévision, les plus grandes entreprises et, bien sûr, le Parlement – tout, sauf les nouvelles classes moyennes urbaines, formées après l’écroulement soviétique. C’est elles qui étaient soudain descendues dans la rue, en décembre 2011, pour protester contre la fraude électorale. Elles aspirent à la fin de l’arbitraire, à l’état de droit et la démocratie et, si elles n’ont pas encore été capables de proposer une alternative crédible à la Russie, elles en constituent l’aile marchante, celle qui fait tourner l’économie et incarne l’avenir.
Ces jeunes gens, cadres, enseignants, chercheurs, créateurs d’entreprises, Vladimir Poutine les craint donc plus que tout. Faute de pouvoir tous les envoyer en camp comme les jeunes femmes des Pussy Riots, il veut donc les empêcher de s’affirmer sur la scène sociale et politique et c’est pour cela qu’il s’attaque aux ONG. Il lui faut détruire ce tissu social par l’intimidation, par ces raids qui se sont multipliés ces derniers jours après qu’une loi a obligé en novembre dernier toute ONG recevant de l’argent étranger à se déclarer comme « agents de l’étranger », autrement dit de puissances ennemies.
Le président russe voudrait recréer une société totalitaire dans un pays socialement diversifié et devenu, de fait, pluraliste. C’est un espoir vain, aussi vain que toute tentative de nier une évolution sociologique et historique, mais il peut ainsi faire perdre beaucoup de temps à la Russie, retarder sa modernisation, la plonger bientôt, comme vient de le lui dire Mikhaïl Gorbatchev, dans une crise politique et la couper toujours plus des pays occidentaux qui ont tous condamnés cette offensive liberticide contre les ONG.
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