Evident, spontané, le premier réflexe est d’applaudir. On applaudit à ces révélations sur la manière dont de très riches et de très puissants cachaient au Panama l’argent du crime, de la rapine et de la corruption ou soustrayaient des fortunes, même légalement acquises, à l’imposition fiscale.
C’est sans réserve qu’on y applaudit puisque le secret est indispensable à la corruption, que son seul dévoilement vaut des armées de policiers et de juges et que la fraude fiscale fait bien plus de tort aux nations, oui, bien plus, que le pire des gangs organisés en privant la collectivité de ressources indispensables à l’éducation, la santé, la sécurité, l’investissement et l’innovation.
Cette entreprise est de salubrité publique mais quelques questions, pourtant, sur ce que ce grand dévoilement nous dit aussi du monde dans lequel nous entrons.
Nous savions déjà que chacun de nos gestes pouvait désormais être retracé. Même éteints, les téléphones portables permettent de nous localiser en tout point de la planète. Non seulement ils peuvent être écoutés avec une facilité déconcertante mais ils dressent également la liste de nos amis et relations, de nos centres d’intérêt, de nos appels et de leurs destinataires.
Il en va de même de nos ordinateurs et tablettes qui renseignent jusque sur nos lectures préférées de journaux et de livres mais ce n’est pas tout.
Plus les retraits d’argent liquide sont limités, plus nous payons en cartes plastique, plus se conserve la liste de nos dépenses, des déplacements que nous faisons et des endroits que nous fréquentons. Plus un instant de nos vies ne peut rester nôtre et si cela complique bien sûr, et tant mieux, la tâche des malfaiteurs, des corrompus et des terroristes, cela facilite tout autant celle des polices dans un monde où les dictatures et autres régimes autoritaires sont autrement plus nombreux que les démocraties.
A voir ce qui se passe en Chine ou en Iran, la vie d’un opposant politique sera bien plus périlleuse encore dans ce siècle qu’aux siècles passés, tellement plus difficile qu’on peut se demander aujourd’hui si les Résistants de la dernière guerre auraient encore moins la moindre chance d’organiser leurs réseaux.
On savait déjà tout cela mais les « Panama papers » et les autres fuites de masse qui les avaient précédés viennent poser une question de plus.
Dès lors qu’il suffit d’une clé USB pour rendre public le contenu d’un ordinateur, il n’y a plus de secret médical, plus de secret de la défense, plus de secret fiscal, plus guère, non plus, de secrets des sources, plus aucun de ces plus légitimes secrets qui avaient été érigés par la loi mais seulement un individu livré nu à l’inquisition publique ou policière.
Il est réjouissant de voir des potentats éclaboussés, tant de turpitudes dénoncées et un nouveau coup porté aux paradis fiscaux mais, à terme, ce n’est pas aux plus faibles mais aux plus forts, pas à la liberté mais à la dictature, que profitera la disparition, l'impossibilité du secret.
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