Plus on approche de son inauguration, plus la tension monte entre l'Egypte, d'une part, le Soudan et l'Ethiopie, d'autre part.
Des tensions alimentées par de vraies inquiétudes et par une nouvelle donne géopolitique.
D'abord, parlons de ce barrage sur le Nil bleu au trois quart terminé et qui devrait entrer en service dès 2018 : 170 mètres de haut, près de 2km de large et un lac réservoir immense, capable de retenir plus que la capacité annuelle du fleuve.
Il produira à terme 6000MW, ce qui fera plus que doubler la production électrique éthiopienne, un pays de 100 millions d'habitants qui en manque cruellement et qui, d'un coup, deviendra la centrale électrique de l'Est africain.
Si l'Egypte s'inquiète, au moins de menacer, c'est parce qu'elle se trouve en aval du barrage et qu’elle tire du Nil 90% de son eau potable, agricole ou industrielle. Autrement dit, aujourd'hui comme hier, l'Egypte est avant tout un cadeau du Nil.
Il suffirait que l'Egypte s'entende avec ses voisins pour gérer cette eau !
Vous parlez d'or, Pierre ! Sauf que l'Egypte n'est pas habituée à discuter, elle qui a toujours été la puissance économique, politique voire militaire de la région. Le Soudan et l'Ethiopie étaient trop pauvres pour lui contester cette primauté.
Résultat, en 1959 un traité parfaitement léonin a été signé qui attribue à l'Egypte les ¾ de l'eau du Nil. Or même avec des termes aussi défavorables, le Soudan n'est jamais parvenu à consommer sa maigre portion du fleuve qu'il abandonnait donc à Egypte.
Ça c'est l'ancien monde. Celui qu'on a quitté au tournant des années 90/2000. Aujourd'hui, dans un monde globalisé où les échanges commerciaux, les ressources minières et les taux de croissance comptent plus que les divisions blindées, les cartes sont rebattues.
Or il se trouve que le Soudan a du pétrole et surtout, que l'Ethiopie a depuis 10 ans au moins, le taux de croissance annuel le plus élevé au monde après la Chine.
Vous voulez dire que l'Egypte commence à sentir la concurrence ?
Relative : l'Ethiopie reste un pays très pauvre et son économie est encore 5 fois moins importante que celle de l'Egypte. Mais c'est la première fois depuis j'allais presque dire des millénaires qu'elle est capable de tenir la dragée haute au Caire.
Mais c'est surtout la différence entre les deux pays qui frappe les esprits. D'un côté l'Egypte multiplie les éléphants blancs, comme cette capitale inutile sensée doubler le Caire, construite en plein désert ou encore des travaux mal engagés et évalués sur le canal de suez. De l'autre l'Ethiopie, elle, édifie un barrage.
L'Egypte achète des armes à tour de bras, est incapable de maitriser sa corruption endémique, laissant des pans entiers de son économie aux mains des militaires. De l'Autre, Addis Abeba multiplie les projets structurants, agricoles et industriels.
Je ne parle pas ici de démocratie : les deux pays sont tous deux dictatures féroces. Sauf qu'au Caire, on mendie des milliards en Arabie Saoudite pour survivre un mois de plus alors qu'à Addis Abeba, les banquiers du monde se précipitent pour avoir l'honneur de prêter au pays.
D'où l'inquiétude de l'Egypte qui est à la fois économique, politique et existentielle : le monde qui vient est en train de lui donner du fil à retordre sous la forme d'un pays qu'elle a toujours méprisé et qui est en train de lui rendre la politesse, à savoir l'Ethiopie.
L'équipe
- Production