Comme sous le règne de Moubarak, la France et les Occidentaux privilégient leur relation avec l’Égypte dans son contexte géopolitique, aux dépens d’une situation des droits de l’homme qui est « pire que sous Moubarak » disait l’an dernier le président français.
On pourrait intituler cette visite « Emmanuel Macron et les droits de l’homme en Égypte, acte 3 » ; car une fois de plus, c’est LE sujet qui focalise l’attention à l’occasion de la visite à Paris aujourd’hui du Président égyptien Abdelfattah Al-Sissi, tant la situation dans son pays est inquiétante.
Le premier acte s’était déroulé en 2017, lors d’une précédente visite : Emmanuel Macron avait déclaré qu’il n’avait « pas de leçons à donner » au chef de l’État égyptien sur les droits de l’homme.
Janvier 2019, le président français se rend à son tour au Caire, mais là, il a, sinon des leçons, au moins des choses à dire à son homologue égyptien. Il affirme devant la presse que la situation est pire que sous Hosni Moubarak -une référence !-, et la conférence de presse finale donne un échange surprenant pendant lequel le Président égyptien s’inquiète des violences contre les manifestations de gilets jaunes en France, tandis qu’Emmanuel Macron tente diplomatiquement de dire qu’il est dans l’intérêt de l’Égypte d’être moins répressive…
L’"acte 3" survient alors que plus personne ne se fait d’illusions sur la nature autoritaire du régime du Président Sissi, ni sur la capacité, ou la volonté, de la France d’y faire quelque chose.
A la veille de la visite du Président Sissi en France, les autorités égyptiennes ont libéré Gasser Abdel Razek, le Directeur exécutif d’une ONG, l’Initiative égyptienne pour les droits personnels, et deux de ses collègues. Les trois militants avaient été arrêtés le 3 novembre, juste après une rencontre avec 13 ambassadeurs étrangers au Caire, dont celui de la France.
En début de semaine dernière, 17 organisations de défense des droits de l’homme avaient interpelé Emmanuel Macron pour faire libérer ces trois responsables d’ONG. Le Caire a pris les devants et les a libérés d’elle-même, comme si ce seul geste allait éviter le sujet des droits de l’homme lors de la visite. Surtout que d'autres cas similaires attendent, comme celui de Ramy Shaath, défenseur des droits de l'homme détenu depuis plus de 500 jours et dont l'épouse française a lancé un appel à Emmanuel Macron; ou celui du jeune militant Patrick Zaki, étudiant en Italie arrêté alors qu'il était rentré en vacances en Égypte.
Car la situation en Égypte est dramatique : plus de 60.000 prisonniers politiques, initialement des Frères musulmans emprisonnés dans la foulée de la destitution en 2013 du Président Mohamed Morsi, mort l’an dernier. Depuis, la répression s’est élargie à tous les milieux qui pourraient contester le régime, partis d’opposition, journalistes, ONG… 50 personnes ont été exécutées pour le seul mois d’octobre.
L’équation n’est pas très différente de ce qu’elle était sous le règne de Moubarak. On ferme les yeux sur les violations des droits de l’homme en raison du contexte géopolitique. L’Égypte s’oppose aux ambitions de la Turquie en Méditerranée orientale et en Libye, tout comme la France ; elle a le soutien financier de l’Arabie saoudite, et, jusqu’ici, pouvait se prévaloir de la caution de l’administration Trump à Washington.
La France cultive des rapports pas toujours faciles mais amicaux avec l’Égypte, bon client aussi, ne l’oublions pas, de l’industrie militaire française, et notamment du Rafale.
Mais le précédent de Moubarak devrait vacciner les chancelleries occidentales. Fermer les yeux sur les abus d’un régime se paye au prix fort lorsque le peuple ne l’accepte plus. « C’est néfaste pour le pays lui-même et pour sa stabilité », c’est ce que disait Emmanuel Macron lors de l’"acte 2" en 2019. Pour autant, rien n’a changé depuis.
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