La Ministre de la défense allemande a cru bon de prendre ses distances avec l’idée d’autonomie stratégique de l’Europe à la veille de l’élection américaine, mais le résultat disputé a l’effet inverse. L’Europe est face à ses responsabilités.
A l’approche de l’élection américaine, un débat feutré a traversé l’Europe, quand tout le monde pensait que Joe Biden avait un boulevard devant lui, et que Donald Trump ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Il y avait la tentation de considérer qu’une Amérique amicale et protectrice allait être de retour, et que le discours sur l’autonomie stratégique de l’Europe devait passer au second plan.
C’est peu dire que les premiers résultats ont douché cette idée, avec d’un côté la résistance plus que réelle du Président sortant et de son nationalisme « America first » ; de l’autre un Joe Biden à la peine, et qui, même élu en fin de compte, devrait compter avec un pays divisé, un Sénat hostile, et des priorités assurément domestiques.
Cette incertitude américaine a remis sur la table le débat européen sur l’autonomie stratégique, en faisant valoir que la relation transatlantique, la défense de l’Europe et sa place dans un monde changeant, ne pouvaient pas être les otages, tous les quatre ans, de quelques milliers d’électeurs du Wisconsin, qui, au demeurant, ne se sentent guère concernés par ces enjeux. Avec une Amérique qui ne connait plus de consensus, le risque est devenu trop grand.
C’est une tribune publiée à la veille du scrutin présidentiel, sur le site américain « Politico » par la Ministre allemande de la défense, Annegrete Kramp-Karrenbauer, qui a le mieux incarné cette tendance à l’apaisement, clairement écrite dans la perspective d’une victoire de Joe Biden.
« AKK », comme on surnomme cette femme politique allemande qui fut, un temps, désignée pour succéder à Angela Merkel, a intitulé son texte : « L’Europe a toujours besoin de l’Amérique ». Et elle écrit : « les illusions à propos de l’autonomie stratégique européenne doivent prendre fin : les Européens ne seront pas capables de remplacer le rôle crucial de l’Amérique comme garantie de sécurité ».
Ce texte a fait réagir, car s’il dément quelque chose qui n’est pas sur la table -personne ne propose réellement de « remplacer » l’Amérique-, il montre que les vieux réflexes acquis sous le parapluie américain ont la vie dure. D’autre voix se sont toutefois exprimées au sein même de la CDU, le parti de Mme Merkel, pour nuancer ou contredire la ministre.
C’est en Allemagne que ce débat est le plus fort, et c’est logique. L’Allemagne est le pays européen qui a le plus souffert de la Présidence de Trump, à la fois en raison de l’antipathie entre le Président et la Chancelière, de la menace permanente d’une guerre commerciale, et de décisions erratiques comme la récente annonce unilatérale de retirer une partie des troupes américaines stationnées en Allemagne.
Il y a donc, à Berlin, une partie de la classe politique qui souhaite un retour au monde plus apaisé d’avant, que pourrait incarner Joe Biden.
Mais c’est sans doute une illusion. D’abord parce que l’Amérique a changé et n’est plus disposée à conserver la même posture internationale ; et d’autre part parce que l’Europe ne peut pas réduire son ambition au rôle de partenaire « junior » d’une alliance dont le « patron » n’est plus aussi motivé.
Le résultat disputé de l’élection aura finalement une vertu : replacer les Européens face à leurs responsabilités ; et cette leçon vaut quel que soit le vainqueur à l’arrivée.
L'équipe
- Production