Argent et bonheur font-ils bon ménage ?

Jules Renard écrivait : « Si l’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! ».

Il est consolatoire de se dire que l’argent ne fait pas le bonheur.

Et à lire "Successions", le nouveau livre des journalistes du Monde, Raphaëlle Bacqué et Vanessa Schneider, on se dit que les luttes fratricides, les disgrâces paternelles, les haines et les drames qui émaillent l’histoire des grandes familles richissimes éloignent ces dignes héritiers des Atrides des chemins de la félicité.

Bernard Arnault, Jeff Bezos, Françoise Bettencourt Meyers, Jérôme Seydoux, François Pinault, Elon Musk, sont-ils vraiment les plus heureux du monde ?

Nous verrons que des études sérieuses montrent tout de même que la richesse contribue bel et bien au bonheur, dans une certaine mesure.

Raphaëlle Bacqué : "tout le monde sait bien que ce qui fait le bonheur, c'est l'amour et non pas l'argent."

L'argent ne fait pas le bonheur

Plus on en a, moins on est heureux ! (selon les études)

De nombreuses recherches ont étudié le lien entre le revenu et le sentiment de bonheur. La psychologue du développement Rébecca Shankland explique qu'il y a un effet certain de notre revenu sur notre bien-être, mais que si l'argent contribue au bonheur, c'est seulement dans une certaine mesure. En effet, si, dans un premier temps, le bonheur augmente avec le revenu, passé un certain seuil, le sentiment de bonheur diminue quand bien même le revenu continue d'augmenter. Autrement dit, l'argent serait un cristalisateur.

Les recherches montrent que les plaisirs intenses sont associés à moins de bien-être que des petits plaisirs du quotidien qui vont au contraire apporter un plus grand bien-être puisqu'ils ne s'inscrivent pas dans le temps long et le plaisir permanent qui finit par lasser : "On s'aperçoit que le fait de manquer d'argent représente un facteur de stress global très important et donc une entrave forte à la question du bonheur. Mais une fois que la sécurité matérielle est assurée, on s'aperçoit que l'argent est assez faiblement corrélé au bonheur. Le surplus d'argent par rapport à cette sécurité matérielle est assez faiblement corrélé au bonheur. Pourquoi ? Parce que l'argent est souvent utilisé pour des choses qui, au final, ne sont pas celles qui apportent le plus de bonheur. Le fait d'acheter des biens matériels, par exemple, va nous faire du bien, mais en réalité, non seulement, c'est très éphémère, mais plus l'argent est présent, plus ça va diminuer notre capacité à savourer les petits bons moments. L'argent devient une entrave lorsqu'on en a beaucoup à disposition et que la recherche de biens matériels, de confort devient une quête permanente".

La quête de l'argent entrave notre sens social

La dimension du bien-être psychologique porte aussi sur l'acceptation de soi, le sentiment que la vie a du sens et les recherches montrent que la quête systématique de l'argent diminue notre capacité à être altruistes : "L'argent va avoir tendance à entraver la qualité des relations. Même si, de manière intuitive, on pourrait dire que l'argent peut nous aider à acquérir plus de biens matériels, plus de sécurité, en parallèle, le désir d'enrichissement peut venir entraver la qualité de nos relations sociales".

Les sentiments propices au bonheur

D'après les méta-analyses consacrées au bonheur, la psychologue rappelle quels sont les facteurs déterminants récurrents qui permettent d'accéder à cet état canonique du bonheur (et l'argent n'en fait pas partie) :

• L'amour : "La qualité des relations en santé mentale et les relations entre humains, avec la nature"
• Le sentiment que la vie a du sens : "le fait d'agir en cohérence avec ses valeurs augmente ce sentiment que la vie a du sens".
• Les émotions positives, certes plus fluctuantes, mais davantage associées aux situations qu'on rencontre, aux conditions de vie, aux dimensions agréables du quotidien : "Ces émotions par grappes, vont nous permettre, sur le long terme, de faire face à des situations difficiles, de résoudre les problèmes de manière plus créative, plus constructive. Les émotions positives contribuent au bonheur parce qu'elles nous aident à faire face à des moments difficiles grâce au sentiment d'espoir".
• L'argent contribue à procurer plus de bonheur surtout lorsqu'on le fait bénéficier à d'autres personnes : "Lorsqu'on va être attentif au bonheur d'autres personnes, ça aura beaucoup plus d'effet sur notre bonheur personnel, via le sentiment d'utilité sociale et que notre vie a du sens".

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Invitées

Vanessa Schneider, grand reporter au « Monde ». Romancière.

Raphaëlle Bacqué, grand reporter au « Monde ». Présidente de la Société des rédacteurs du « Monde ».

📖 Auteure de "Successions" (Albin Michel, 5 octobre 2022).

Rébecca Shankland, professeure des Universités en psychologie du développement à l’Université Lumière Lyon 2. Membre de l'« Institut Universitaire de France ». Professeure de psychologie du développement - Laboratoire « Développement, Individu, Personnalité, Handicap, Education » [DIPHE]. Elle est aussi responsable, d'une part, de l’ « Observatoire du Bien-être à l’Ecole » (OBE) à l'Université Lumière Lyon 2. et de l’ « Observatoire de la Parentalité et du Soutien à la Parentalité » (OPSP) à la Maison des sciences de l'homme-Alpes. Rébecca Shankland fait en outre partie des groupes de travail « Bien-être à l’école » du CSEN (Conseil Scientifique de l’Education Nationale) et « Etude Santé Mentale de l’enfant » pour Santé Publique France. Actuellement, elle œuvre sur la prévention du burn-out parental, le bien-être et le climat scolaire ainsi que le développement des compétences psychosociales.

📖 Auteure de « Ces liens qui nous font vivre » (co-écrit avec Christophe André, chez Odile Jacob, 2020, rééd 2022 et de « S'initier à la psychologie positive - Prendre soin de soi, des autres et de l'environnement » (co-écrit avec Marine Paucsik et Jean-Baptiste Baudier, chez Eyrolles, Juillet 2021).