Comment échapper à la "fast" mode, éviter la sur-consommation et retrouver enfin l'envie d'avoir un habit qui nous suit toute notre vie ?
"Quand la mode se fout du monde", c’est la Une cette semaine de l’hebdomadaire Le 1.
L’industrie du prêt-à-porter serait responsable de 8 à 10% des émissions de gaz à effet de serre de la planète.
Quand nous achetons en masse des vêtements, vite produits, vite achetés, vite jetés ou vite revendus, nous contribuons au réchauffement climatique.
Et aussi à la pollution des sols et des océans…
Sans oublier la catastrophe sociale liée à cette fast fashion, cette mode jetable qui nous plaît tant…
Des centaines de milliers d’ouvrières et d’ouvriers exploités, à l’image des victimes de l’effondrement du Rana Plaza en 2013 à Dacca au Bangladesh, qui abritait des ateliers de confections pour le compte de grandes marques internationales comme Primark ou Mango.…
Mais pourquoi achetons-nous autant de vêtements, sans forcément toujours les porter ?
Quel est le réel impact social et environnemental du prêt-à-porter ?
Quel rôle jouent les injonctions sociales et les techniques du marketing pour nous inciter à toujours à acheter plus…
Coup de projecteur ce matin sur les dessous noirs de la mode…
Extraits de l'entretien
Nous nous posons rarement la question de la provenance de nos vêtements à bas coût.
Audrey Millet : Nos vêtements nous rendent beaux, sont confortables, nous chouchoutent. En revanche, il faut se demander si nous ne sommes pas trop dans le paraître, il faudrait peut-être retrouver une certaine modestie des apparences.
Cette mode jetable date du XVIIème siècle, de la colonisation lorsque les Etats anglais et français ont dû mettre des soldats sur des bateaux pour aller coloniser le monde, il a fallu les habiller. Voilà une première forme d'uniformisation.
Au XIXème siècle, apparaît la mécanisation qui va accélérer ce mouvement. Et post Seconde Guerre mondiale, nous avons l'envolée de la seconde main. Dans les années 80 et 90 avec la fin des quotas de l'accord multifibres, nous avons une véritable l'ouverture aux exportations, aux containers remplis de vêtements à 3 ou 4€.
Imaginez combien les gens sont payés et dans quelles conditions ils travaillent.
Il y a toujours quelqu'un qui doit payer ces vêtements bon marché, et ce quelqu'un, c'est le travailleur.
A.M : Et je dirai même, c'est la travailleuse. Parce que 80% des ouvriers textiles sont des femmes et des jeunes filles, voire de très jeunes filles. Et c'est ce qu'on oublie souvent dans ces magasins de fast fashion, mais pas seulement. Souvent les marques de luxe produisent dans les mêmes endroits. Au bout du compte, c'est toute l'industrie textile qui est à montrer du doigt.
- A ECOUTER | Chronique environnement : une mode éthique
"Un symbole de la mondialisation malade"
A.M : Il y a trop de flux, trop de besoins crées, trop de marketing, trop d'images, des images déformées qui ne reflètent pas la réalité et qui nous montrent à quel point nous sommes naturellement laids.
[...] A Prato par exemple est une ville à 20km de Florence qui a été investie par les Chinois, c'est l'ancienne capitale textile de l'Italie. Il y a d'énormes entrepôts chinois, où les règlementations ne sont pas soutenues.
A Prato, il y a deux mois, un ouvrier qui est mort de faim dans un entrepôt. Tout ça pour des vêtements.
Le presse aussi nous vend ces nouveaux produits [de la fast fashion]. C'est très important de dire aux jeunes filles et aux femmes qu'un vêtement n'est pas juste ce truc momentané, cette chose impulsive.
Un vêtement est quelque chose qui nous touche, qui nous correspond et qu'on va laver, à la main s'il le faut, et avec amour parce qu'il nous correspond totalement et nous transforme. Et on se dit : "ce t-shirt tâché à 3,90€, pourquoi le laver ?"
Le prêt-à-porter ou le prêt-à-jeter ?
Julien Bisson : L'un des chiffres qui m'a le plus frappé c'est le fait que 70% de notre garde-robe n'est quasiment jamais utilisée. Nous allons acheter des vêtements que nous allons mettre une, deux, trois fois et qui vont ensuite dormir dans notre garde-robe.
D'où vient cet attrait incroyable des nouvelles tendances de cette mode jetable ?
A.M : Le coup de génie des dernières innovations sur les réseaux sociaux et de la part des marketeurs, c'est l'analyse des sentiments. Maintenant, on analyse nous sentiments à coup de likes. Et c'est très dangereux. [...] Essayons de ne pas juste être des porte-monnaie.
N'oublions pas que le vêtement est le critère fondamental pour évaluer une personne.
Effectivement, il indique le degré d'intérêt et je crois pire encore, le degré de pauvreté. Lorsqu'on est beau, bien habillé, avec la dernière chose à la mode, ça appelle le succès, comme sur Instagram.
T.E : Il y a aussi le problème de la non-inclusion, c'est-à-dire que les modèles sont taillés pour un 36-38 qui représente à peine 3% de la population française.
Le "one clic", la consommation en ligne ultra rapide
Extrait documentaire | Fast fashion - Les dessous de la mode à bas prix
1 min
J.B : L'industrialisation en ligne est presque une industrialisation nouvelle de cette fast fashion.
A.M : Nous sommes pris dans une grande machine, qui est faite à partir des applications. [...] On se dit qu'on peut renvoyer [si on achète en ligne], en réalité, on renvoie assez peu.
C.D : Et il ne faut pas oublier qu'une fois qu'on a renvoyé les produits, ils sont bien souvent détruits et ne sont pas remis dans le circuit.
Un jean peut parcourir jusqu'à une fois et demi le tour de la Terre.
Beaucoup d'auditeurs nous disent : "Je n'ai pas les moyens de m'acheter un t-shirt à 80 ou 100€. Je vais donc m'en acheter à 5,90€."
A.M : Ces auditeurs ont bien raison de soulever ces questions économiques parce qu'on nous fait croire, pour qu'on rachète plus souvent, qu'un vêtement valait 2€, un vêtement ne vaut pas 2€. Un vêtement ça vaut des personnes.
Des solutions existent
A.M : Commençons par quelque chose de simple : le 7ème t-shirt noir, non ce n'est pas la peine. Donc il faut entretenir ses vêtements. Il faut une autre relation à la machine à laver.
T.E : On peut trouver du coton, même biologique en Europe, en Grèce ou au Portugal, il faut réfléchir de manière beaucoup plus locale. Il y a une réflexion qui est en cours et qui va entrer en vigueur en 2022 qui est l'affichage environnemental pour avoir un bilan écologique de la production du vêtement. Il y a une réflexion à avoir sur l'affichage, et social et environnemental.
Comment réduire notre impact social et environnemental des vêtements que nous achetons tous ?
C.D : La première chose est de regarder son vestiaire et de trier. Il faut l'entretenir comme il faut et le réparer, raccommoder ses vêtements, les rapiécer. Ce sont des savoir-faire qui ont été perdus.
A.M : Et avec le seconde main, si c'est pour acheter autant, ce n'est pas la peine. Et c'est difficile de trouver un petit pull noir tout simple en seconde main, et surtout de toutes les tailles.
T.E : Il faut réfléchir en terme d'usage et nous en terme de prix, et vérifier le vêtement sous toutes les coutures à l'achat et se demander s'il va durer.
Vous recommandez la règle des 3 avant d'acheter : est-ce que j'en aurais envie dans 3 jours, peut-on concevoir trois tenues avec vêtement et est-ce que je pêux porter ce vêtement à trois occasions différentes.
POUR ALLER PLUS LOIN
Avec
- Julien Bisson, rédacteur en chef Le 1 hebdo. Comment la mode se fout du monde.
- Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France.
- Audrey Millet, historienne et chercheuse à l’Université d’Osla.
LIRE - Le livre noir de la mode, création, production, manipulation, Audrey Millet (Les Pérégrines, 18 mars 2021)
- Thomas Ebélé, co-fondateur du label SloWeAre.
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration
- Collaboration
- Stagiaire