Il peut être narquois, bienveillant, intérieur, publicitaire, ironique, malveillant, timide, mystérieux, dominateur, tendre, poli. Le sourire détient mille et un sens, mais demeure le meilleur moyen d’entrer en relation avec les autres. Explorons les différents visages du sourire.
- David Le Breton Anthropologue, sociologue, membre du Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe au CNRS
- Marie-Laure Zonszain Journaliste
Imaginez à quoi ressemblerait nos interactions sociales sans sourire ! Ne pas sourire à une inconnue qui vous tient la porte, à un passant qui vous indique le bon chemin ou à une caissière qui vous adresse un large sourire ? Tout au long de la crise sanitaire avec le port du masque, nous avons bien compris son importance. Le sourire qui peut d’ailleurs devenir un masque, quand nous souhaitons ne pas montrer nos véritables émotions ou quand nous éprouvons une gêne. Et puis nous évoquerons également l’usage des smiley, ces sourires qui ponctuent nos sms et nos courriels…
Rire ou sourire ?
David Le Breton tient d’abord à différencier le rire du sourire.
Le rire, c'est vraiment le corps. Le sourire, c'est l'inverse. C'est la spiritualité, c'est l'élévation.
Pour lui, le rire a quelque chose de mécanique et d’incontrôlable. Il donne d’ailleurs de nombreuses expressions de la langue française qui vont dans ce sens : « se tordre de rire, rire à en pisser dans sa culotte, se fendre la gueule, se marrer comme une baleine, etc. »
À l’opposé, le sourire ne s’applique qu’au visage. Il ne prend pas à partie le corps tout entier. Pour lui, c’est un acte gratuit et volontaire qui permet de communiquer avec l’autre. « Le sourire est une sorte de célébration du visage. »
Il continue : « Le sourire fait partie de ces événements un peu frivoles, un peu dérisoires justement, que la sociologie ou l'anthropologie énormément occultées. » Il explique que beaucoup de travaux scientifiques évoquent le rire, mais finalement peu ont étudier le sourire.
Un geste social
David Le Breton évoque le sourire comme une ouverture à l’autre. Pour lui, c’est le meilleur moyen d'entrer en relation avec les autres.
La complicité se noue à travers le sourire.
Dans le cadre de ses travaux, l’anthropologue souligne l’importance du sourire dans les relations sociales. « Le sourire entre toujours à l'intérieur d'une ritualité quotidienne. » Selon lui, la principale fonction du sourire est de nous éviter de perde la face, de faire bonne figure.
Il prend cet exemple : lorsque l’on sourit à quelqu’un et que la personne ne nous rend pas ce sourire, nous percevons cela comme un manque de reconnaissance. Au même titre, nous pouvons être profondément émus par le sourire même d'une personne inconnue sans arrière-pensées dans la rue.
David Le Breton explique la diversité des sourires : narquois, bienveillant, intérieur, publicitaire, ironique, malveillant, timide, carnassier, mystérieux, dominateur, tendre, poli, etc. « Ce sont des expressions d'une immense ambivalence qui n'ont de sens que dans un contexte très précis. »
Pour lui, chaque sourire est unique. Il renvoie à une interaction sociale spécifique et s’adapte au contexte.
Souriez !
Marie-Laure Zonszain questionne David Le Breton sur les bienfaits du sourire au quotidien. Selon elle, de nombreuses études énoncent que le simple geste mécanique du sourire rendrait les gens plus heureux. L’anthropologue éclaircit le phénomène.
« Face aux petites adversités du quotidien, on a plutôt intérêt à avoir un sourire par défaut dans la tête et sur le visage qu'à se laisser aller à faire un petit peu la gueule. Mais ça n'a pas un effet magique non plus. »
Selon lui, certes le sourire permet un certain optimisme, mais il rappelle que ces études sont réalisées sur des personnes en bonne santé psychique et non sur des personnes fragiles.
David Le Breton rappelle que le sourire est un geste gratuit : « Être souriant, à adversités égales, nous fera plus de bien. »
Le sourire, c'est une sorte de don de rien, finalement, mais un don de rien qui fait toute la valeur de nos vies.
Invités
David Le Breton, anthropologue, Professeur de sociologie à l’université de Strasbourg. Membre senior de l’Institut universitaire de France. Membre de l’Institut des études avancées de l’Université de Strasbourg (USIAS).
- "Sourire – une anthropologie de l’énigmatique" (édition Métailié, avril 2022)
- "Marcher la vie : Un art tranquille du bonheur" (édition Métailié, 2020)
- "Une anthropologie du rieur" (édition Métailé, 2018).
Les questions toujours pertinentes de Marie-Laure Zonszain (Cheffe du service Actualité chez Femme Actuelle).
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