Les écrans omniprésents dans la vie des 15/30 ans au temps du Covid, c’est notre thème ce matin. Cours à distance, réseaux sociaux, visionnage de séries et de films sur les plateformes dédiées, jeux vidéo seul ou à plusieurs : la pandémie a-t-elle vraiment intensifié l'usage des écrans ?
Des études semblent attester une tendance de fond que l’on observe depuis une dizaine d’années, avec pour conséquence en ce moment une dépendance plus forte, un sentiment d'isolement accru, des épisodes de déprime plus fréquents et un sommeil perturbé. Cette dépendance risque-t-elle de perdurer après la crise sanitaire ? Et ce qui vaut pour les jeunes, vaut-il également pour les plus âgés ?
Comment mieux gérer son temps d'écran ? Nos experts vous donneront des conseils, des solutions, sans culpabiliser qui que ce soit.
Comment est-on passé de la nécessité à la saturation des écrans ?
Michaël Stora : "L'omniprésence des écrans était déjà là. Pendant le confinement , cette consommation est devenue quasiment essentielle pour ne pas sombrer dans des sentiments de solitude. Il y avait même une dimension positive. Les écrans étant confinés, nous avions des pratiques confinées qui nous permettaient heureusement de pouvoir rester en lien avec les autres. Toutefois ça restait une sorte de soins palliatifs quand, aujourd'hui, plus le temps avance et plus les jeunes nous montrent à quel point il est important de sortir des écrans et à quel point le corps a besoin d'être engagé dans le monde réel".
Progressivement, les écrans sont venus amplifier des sentiments de dépression, de solitude qui étaient déjà là.
Elena Pasquinelli : "Deux types d'usages ont fini par se croiser et à avoir des effets néfastes au long cours. L'usage forcé, pendant le confinement : on s'est retrouvé à substituer nos relations humaines sur écran, et les jeunes se sont retrouvés dans l'obligation de passer par l'écran pour étudier. L'usage socialisant nourri par le besoin de distraction".
Mais ces deux usages se sont croisés en mélangeant distraction et vie étudiante.
Bruno Humbeeck : "Désormais, on assiste à un phénomène auquel on ne s'attendait pas, c'est une forme de saturation des écrans. Beaucoup de jeunes disent qu'ils n'en peuvent plus pour des raisons liées au fait que l'école s'est appropriée les écrans de manière officielle, l'enseignement hybride. L'écran est devenu un matériel scolaire qui fait que, aujourd'hui, ils sont gavés. Ils se rendent comptent qu'ils ne peuvent pas remplacer les contacts sociaux réels".
On constate, chez beaucoup d'adolescents, une forme d'engourdissement psychique.
David Groison : "Les 15-20 ans passaient déjà, en moyenne, plus de quatre heures par jour sur leur smartphone. Ce temps-là a explosé. Eux-mêmes se rendent compte que ça ne va pas. Ils n'ont plus leurs activités réelles externes. Tout ça a été remplacé en temps d'écran".
De la difficulté à réguler cet usage intensif des écrans
MS : "C'est compliqué pour beaucoup de jeunes de s'autoréguler. C'est d'une complexité folle. Ces réseaux sociaux sont comme une récréation qui dure, d'autant plus que des études commencent à montrer à quel point les cours en distanciel n'ont pas autant de valeur d'apprentissage et surtout par rapport au sentiment de présence".
BH : "Les écrans ne sont pas une addiction, mais il faut prendre la décision de refuser cette appétence par l'autorégulation. Il ne s'agit pas non plus de faire un choix entre les écrans et les livres, mais de s'autoréguler à faire les deux en équilibre. L'idée d'arrêter brutalement les écrans n'est pas quelque chose à faire, il faut simplement apprendre à ne pas se laisser guider par cette seule et unique appétence c'est tout".
MS : "Un des soucis majeurs, c'est que ces distracteurs ont tendance aussi à nous faire culpabiliser parce que, concrètement, à un moment ou un autre, on sent une sorte de vide intersidéral. Même si on utilise les réseaux sociaux pour se socialiser et ne pas se sentir seul. A partir du moment où on commence à y rester infiniment, on finit par culpabiliser".
Les enjeux d'une école à distance et numérique sur le mental ou l'effet "Zoom fatigue"
Les étudiants suivent des cours à distance souvent avec une grande lassitude. Une enquête de l'Observatoire de la vie étudiante indique que 48 % des élèves en école de commerce et 44% en école d'ingénieurs ont été satisfaits de la continuité pédagogique pendant le premier confinement, contre 36 % pour ceux inscrits à l'université :
EP : "On se rend compte qu'apprendre dépend beaucoup de la relation sociale. Quand on doit passer à distance, il faut tout repenser, ça demande énormément de temps, beaucoup de préparation, un investissement double.
C'est beaucoup plus difficile de suivre un enseignement, d'être engagé et cela suppose un effort continu, pour se reconcentrer sur ce qui se passe à l'écran et non pas sur ce qui se passe autour de vous. L'environnement de sa maison n'est pas l'environnement pensé pour l'apprentissage de l'école".
Cela demande un effort mental, cognitif, pour créer un lien nouveau à distance.
Des conseils pour limiter les effets de la fatigue mentale numérique
Les conseils de Elena Pasquinelli :
- "Ne pas avoir l'impression que d'être devant l'écran est une perte de temps,
- Ne pas culpabiliser,
- Sortir, marcher, faire de la cuisine, s'occuper de son chez soi
- Ne rien faire, s'ennuyer, méditer
Les conseils de Bruno Humbeeck :
"C'est une génération qui a déjà pu montrer un réel engagement. Il faut conserver cette capacité collective à relancer des engagements, y compris en utilisant les écrans comme des médias pour stimuler la discussion ; reparler du climat, de l'égalité entre les gens ; induire des comportements et des conduites aux adultes ; essayer, ensemble, de se poser les questions quant au monde de demain".
Quelques conseils pour mieux réguler le temps d'écran
- Éteindre le téléphone loin de l'espace de travail
- Désactiver les notifications des réseaux sociaux
- Se fixer des objectifs, des temps de visionnage sur les plateformes
- Réfléchir sur les enjeux que suscitent les GAFA, les grands acteurs du numérique quant à notre consommation numérique
- Une clé fondamentale, c'est le groupe, pour trouver un moyen d'autorégulation à plusieurs
- Se mobiliser grâce à la règle des trois A : autorégulation, alternance et accompagnement. Il ne faut pas oublier que les écrans ne sont jamais que des médias établis, des supports qui provoquent la discussion au-delà, il faut donc en faire un support d'échanges.
La suite à écouter… Notamment sur les questions liées à la cyberdépendance.
Les invités de l'émission :
- Elena Pasquinelli, philosophe, spécialiste en philosophie des sciences cognitives. Associée de l'Institut Jean-Nicod, elle est membre de la fondation La Main à la pâte et du Conseil scientifique de l'éducation nationale. Elle est notamment l'auteure de Comment utiliser les écrans en famille : petit guide à l’usage des parents 3.0 – Editions Odile Jacob, 2018.
- Michaël Stora, psychologue et psychanalyste, il est le co-fondateur de l'OMNSH (Observatoire des mondes numériques en sciences humaines). Il a notamment publié Hyper connexion – Editions Larousse, 2017 et L’enfant au risque du virtuel – Dunod, 2012.
- Bruno Humbeeck, psychopédagogue et directeur de recherches au sein du service des Sciences de la famille de l'université de Mons (Belgique). Il est docteur en Sciences de l'éducation de l'université de Rouen et notamment l'auteur du livre Les leçons de la pandémie. Réinventer l'école (2020).
- David Groison, directeur des titres ados de Bayard Jeunesse (Okapi, Phosphore, I love English, We Demain 100% Ado), il est également auteur et journaliste.
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