Quand Tintin nous aide à philosopher

Le célèbre personnage créé par Hergé permet de s’interroger de façon ludique et profonde sur la métaphysique, la morale, le bien et le mal, l’amitié, la superstition ou le courage. Le philosophe Michel Serres remarquait que la tête de Tintin était ronde et qu’elle lui faisait penser aux images à trou dans lesquelles chacun peut venir mettre sa tête. C’est ça Tintin : un héros polyvalent dans lequel chacun peut se projeter et s’identifier à sa guise…

L’œuvre d’Hergé a produit mille et une interprétations

Et ce matin, nous vous proposons un éclairage du hors-série de Philosophie Magazine, Tintin et le Trésor de la philosophie.

• Et vous, racontez-nous ce que Tintin vous a apporté ?

• Quels plaisirs sa lecture vous a-t-elle procuré ?

• Qu’avez-vous appris à travers ses aventures ?

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un Partenariat Philo mag

avec :

• Sven Ortoli, écrivain, rédacteur en chef du Hors-Série Tintin et le trésor de la philosophie/Philosophie magazine
• Martin Legros, philosophe et rédacteur de chef de Philosophie magazine
• Serge Tisseron, psychiatre, docteur en psychologie, auteur de nombreux ouvrages sur Tintin

Extraits de l'entretien

Pourquoi Tintin plait-il ?

Martin Legros, rédacteur de chef de Philosophie magazine explique pourquoi nous sommes séduits par le reporter d’Hergé : "Dans l’enfance, on est happé par l’appel du large. Petit, être envoyé dans le monde, en Amérique, dans la Lune, sur une île mystérieuse… est exceptionnel.

J’ai découvert grâce à lui, un humour assez particulier. Tintin est sérieux, et prend son métier d’homme très au sérieux. Mais les personnages qui l’entourent, les Dupondt, le capitaine Haddock, le professeur Tournesol… sont à côté de ce qu’ils devraient faire. Et cela fait beaucoup rire.

Enfin, je retiens de mes lectures d’enfant, une éthique, une lecture morale, en situation. J’étais, par exemple, tétanisé lorsque les Dupondt arrêtent Tintin, alors qu’il est leur ami".

Tintin, à la fois très simple et très compliqué

Martin Legros souligne : "Alors que la situation semble simple, l’arrivée de Tintin, parce qu’il cherche la vérité, qu’il veut établir des faits, ou trouver un trésor, sème le chaos. Et l'album, à la fin, remet un peu d'ordre".

Pour Serge Tisseron : "Tintin est une œuvre énigmatique. J'ai toujours été frappé par le fait que les Dupondt, qui sont jumeaux, s'appellent différemment. Il y en a un qui s'appelle Dupont, avec un t, et l’autre, Dupond avec un d. Quand, j'étais enfant, cela me préoccupait. Devenu psy, j’ai pensé qu’il y avait un secret de filiation autour de ces personnages".

Quand on demande aux enfants quel album ils préfèrent, c'est toujours "Le Secret de la Licorne", ou sa suite, "Le Trésor de Rackham le Rouge". Et dans ces deux histoires, on voit le chevalier de Haddock, en proie à son alcoolisme, et à ses frustrations à l'époque de Louis XIV… Comme plus loin, son descendant, le capitaine. Dans le fameux parchemin de la donation du château de Moulinsart découvert par Tournesol, il y est question de "Mon cher François…". Je me suis dit que c’étaient plutôt les mots d’un père à son fils. J’ai pensé que le chevalier de Haddock pourrait être un fils non-légitime de Louis XIV. Il est exact que ma propre histoire familiale est marquée par beaucoup de secrets, dont un lié à la filiation. Comme mon histoire avait été marquée par les aventures de Tintin, j'ai pris comme support ces albums. Et j'ai cherché à comprendre le secret dissimulé dans les bandes dessinées. Chaque fois que j'avançais un petit peu, j'avançais aussi dans ma propre histoire".

Tintin, un personnage très pratique pour s’identifier

Serge Tisseron : "On parle des 'aventures de Tintin', mais que voit-on dans notre tête quand on pense à ses aventures ? Le Capitaine Haddock, les Dupondt, Tournesol… Tintin n’est qu’un prétexte autour duquel les personnages tournent. Chacun peut s'y projeter. D'ailleurs, Tintin n'est pas vraiment un enfant, mais il n'est pas vraiment adulte. Ce n'est pas non plus vraiment un adolescent, parce qu'à cet âge on est très préoccupés par la sexualité. Lui, pas du tout. Est-ce un garçon ou une fille ? Les parodies du personnage évoquent souvent son androgynie. Tintin n’a a pas de père, ni de mère. C'est une page blanche au sens le plus strict du terme. Quand on est enfant on peut se projeter dans ce cercle rond ouvert sur un infini".

De 7 à 77 ans

Serge Tisseron : "Petit, on est attiré par Milou. C'est un personnage qui, avant l'apparition de Haddock, porte toutes les émotions. Autant Tintin sait où il va, et n'hésite jamais, autant Milou est déchiré. C’est l’ange et le diable au-dessus de lui. Ce déchirement parle beaucoup aux enfants". Martin Legros ajoute : "On a beaucoup dit à propos de Milou que c'est un chien qui parle, qui pense, qui a de l'amour, une morale… Mais Hergé est tellement intelligent que non seulement il fait penser aux enfants que les animaux, les chiens en particulier, sont des êtres semblables à nous, mais en plus de cela, il parvient à donner des arguments pour montrer qu'en réalité, ils sont très différents.

Milou a des désirs et la morale lui tombe dessus en lui disant qu’il faut qu’il fasse son devoir. À l'inverse, Tintin fait aussi son devoir, et c’est là qu’il trouve son bonheur".

Des réponses à des questions philosophiques profondes

Sven Ortoli a noté que les questions philosophiques essentielles sur le juste, l'injuste, l'amitié, la haine sont au coeur des albums de Tintin. "Prenez les Dupondt qui se baladent dans le désert et font deux ou trois fois le tour, et s'interrogent sur la nature de leur trace… C’est une interrogation sur les identités. Le fétiche Arumbaya nous pousse à questionner l’art…"
Le visage parfaitement neutre de Tintin incarne l'homme par excellence, avec un grand H. Mais en quoi est-il universel ? Le philosophe Jean-Luc Marion voit dans Tintin un dépassement progressif de la division entre les hommes, les cultures et les identités.

Pour Martin Legros : "C’est un processus qui se fait petit à petit. Il faut dire qu’avec Hergé, on part de loin. L’un des premiers albums, 'Tintin au Congo' est à mettre à part. C’est une sorte de document historique sur le colonialisme où la différence entre les Blancs et les Africains est massivement affirmée. Le Blanc est en position de colonisateur qui apporte la civilisation. Donc, là, on est dans une fracture très forte qu’Hergé reprend à son compte. C'était un album qu'on lui avait demandé de réaliser pour vanter la présence belge au Congo. Il s'y est plié.

Vers la fin de son œuvre, dans 'Tintin au Tibet' ou dans 'Le Lotus bleu', on parvient à la découverte par le héros d'autres formes d'humanité. Tintin n'est pas dans une forme de multiculturalisme où chacun serait enfermé dans sa culture. C'est plutôt Tintin qui éprouve une vraie curiosité, et donne sa chance à cette proposition d'humanité dont chaque culture est porteuse".

Tintin rend heureux

Pour Serge Tisseron, le héros d’Hergé rend heureux, car "Il ne faut pas oublier qu’Hergé a osé aborder des choses dont personne n'osait parler à son époque dans la bande dessinée. Il y a dans les aventures de Tintin un personnage qui menace de se suicider. Quand Muller, dans 'Tintin au pays de l'or noir', se met un revolver sur la tempe, et appuie sur la détente, le revolver donné par Abdallah est rempli d’encre noire, et ne fait que lui noircir le visage. Et n'oublions pas le suicide de Wolff dans 'On a marché la lune'... Ce sont des choses bouleversantes… Et pourtant, Hergé diffuse un message humaniste très fort d'amour de la vie. Il ne faut pas oublier que le dessinateur va créer à partir de ce qu'il est. Au fur et à mesure qu'il évolue, qu'il vieillit, qu'il découvre la vie autrement, il va faire en sorte que ses personnages fassent de même".

La suite, dont le côté féministe de la Castafiore est à écouter...