Urbex : l'attrait des ruines

Urbex, l'attrait des ruines
Urbex, l'attrait des ruines ©Getty - Mario Hawaz / EyeEm
Urbex, l'attrait des ruines ©Getty - Mario Hawaz / EyeEm
Urbex, l'attrait des ruines ©Getty - Mario Hawaz / EyeEm
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Fille des réseaux sociaux mais aussi de la pulsion scopique, l'Urbex est une pratique récréative ou contestataire, de jeunes qui se rêvent ingouvernables, mais évidemment reprise par l’économie touristique..

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Ce n’est pas vraiment autorisé, mais on y va quand même… Attention où vous mettez les pieds et surtout, faites-moi plaisir, lâchez votre téléphone portable car il s’agit d’ouvrir les yeux, pour garder les lieux ouverts. Nous allons parler d’urbex aujourd’hui.

L’un de ses fondateurs, le canadien Jeff Chapman, dit Ninjalicious, en définit ainsi la pratique :

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"trouver, explorer et documenter des lieux hors des sentiers battus".

Dans les catacombes ou sur les toits, dans les usines désaffectées comme dans les friches urbaines, les lieux abandonnés peuvent devenir un terrain d’expérimentation pour l’histoire.

Mais quelle histoire ?

Celle, peut-être, des pays disparus et des vies oubliées, celle des traces qui sont au bord de s’effacer, celle qui nous permet de fouiller les décombres pour saisir l’archéologie de notre passé récent. Archéologie, le mot est lâché : nous parlions la semaine dernière de l’archéologie préventive, cette nouvelle aventure du savoir qui exhume des vestiges à la faveur de la construction des aires d’autoroute et des centres commerciaux. Mais ces équipements modernes, qu’en feront nous quand ils tomberont en ruine ? Et peut-être plus vite qu’on le croit.

"La forme d’une ville change plus vite, hélas !, que le cœur d’un mortel" — la promenade que l’on vous propose aujourd’hui empruntera peut-être au flâneur de Baudelaire son spleen.

On en parle dans « Histoire de » avec l’historien Nicolas Offenstadt, qui fait paraître chez Albin Michel Urbex. Le phénomène de l’exploration urbaine décrypté, bientôt rejoint par notre sociétaire du jour, Adila Bennedjaï-Zou, mais aussi par un invité spécial, le romancier Thomas Reverdy.

L'urbex une plongée dans l'Histoire

Extraits de l'entretien

Qu’est-ce que l’urbex ?

Nicolas Offenstadt : « C’est une pratique solitaire, hors des sentiers battus. L’Urbex s’intéresse à des lieux délaissés. Il y a une dimension d'abandon, et de lieux à la marge. Ce sont des endroits, où il n'y a plus personne. L'essentiel de la vie qui avait pu habiter ces lieux, que ce soit des usines, des institutions, des casernes, a disparu. Il y a quelque chose de figé dans le temps, qui donne à l'urbain une tonalité particulière. »

Une pratique parfois artistique ?

N O : « Il existe de multiples formes d’urbex. Certaines sont acrobatiques et sportives : des personnes vont monter sur des tours à mains nues, en prenant des risques considérables. Ce sont des sportifs, des aventuriers, des acrobates.

Vous avez des gens qui ont une perspective plus critique, plus intellectuelle, ou plus amusée sur des lieux. Ils vont essayer d'obtenir les clés d'un certain nombre de réseaux de la RATP, du Panthéon, pour pouvoir rentrer à leur guise. Les adhérents de la Mexicaine de perforation ont réussi à installer dans le Panthéon un atelier de réparation clandestin. Les autorités du Panthéon n'ont rien vu, et les infiltrés ont réparé pendant un temps assez long l'Horloge qui ne fonctionnait pas. »

Pourquoi l’historien s’intéresse-t-il à ce phénomène ?

N O : « Il y a des gens qui font de l’exploration de lieux abandonnés pour s'amuser. C'est toujours amusant de sauter par-dessus un mur, d'aller voir une usine abandonnée ou de rentrer dans une caserne en imaginant qu'il y avait là des soldats et des tanks quelques années auparavant…

Mais au-delà de l'amusement, il y a une dimension patrimoniale assez fascinante. Les pratiquants de l’urbex font une forme d'histoire en amateur. Les usages de l'urbex se rejoignent parfois les questions de l'historien. Des personnes n’ayant aucune formation historienne, voire de culture historique, mais lorsqu'ils vont visiter un lieu investissent son histoire, essayent de comprendre qui ont été les propriétaires…

L’Urbex en ex-RDA m’a sorti des perspectives esthétisantes ou ludiques. C'était sérieux et presque grave. Comme historien, j'étais figé dans le passé. Pénétrer dans des lieux où tout s’est arrêté Il y a trente ans, parfois un peu avant, ou un peu après, m’a permis de tomber sur un ensemble de traces de vie. Je n’étais plus dans le jeu, ni dans l'aventure. Je me suis interrogé : « Pourquoi ces gens ont laissé des caisses de crevettes qui venaient du Vietnam par centaines ? » « Comment sont-il partis ? » « Pourquoi est-ce sur le bureau d'un directeur d'un combinat, on trouve sa cigarette écrasée en 1990, et ses agendas ? » Je me suis trouvé plongé dans l'histoire. »

Urbex, une pratique issue d’une pratique récréative et contestataire, fille des réseaux sociaux, mais reprise par le capitalisme du tourisme mondial ?

N O : « L’urbex est un phénomène mondial : des milliers de gens partout dans le monde en font. Récemment, il y a une étude qui a été faite sur la Chine. C’est en train de devenir très à la mode en Chine, mais cela existe aussi au Japon, au Danemark, en Irlande… »

La suite est à écouter...

BIBLIOGRAPHIE

Nicolas Offenstadt, Urbex. Le phénomène de l’exploration urbaine décrypté, Paris, Albin Michel, 2022.

Nicolas Offenstadt, Urbex RDA : L’Allemagne de l’Est racontée par ses lieux abandonnés, Paris, Albin Michel, 2019.

Nicolas Offenstadt, Le pays disparu. Sur les traces de la RDA, Paris, Stock, 2018.

Thomas B. Reverdy, Il était une ville, Paris, Flammarion, 2015

Thomas B. Reverdy et Sylvain Venayre, Le jardin des colonies, Paris, Flammarion, 2017.

Thomas B. Reverdy, Climax, Paris, Flammarion, 2021.

Bruce Bégout, Obsolescence des ruines, Paris, éditions Inculte, 2022.

Alain Schnapp, Une histoire universelle des ruines. Des origines aux Lumières, Paris, Seuil, 2020.