Le secret de la confession

Image d'une scène du film "Grâce à Dieu" de François Ozon.
Image d'une scène du film "Grâce à Dieu" de François Ozon. - Mars Films
Image d'une scène du film "Grâce à Dieu" de François Ozon. - Mars Films
Image d'une scène du film "Grâce à Dieu" de François Ozon. - Mars Films
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Les catholiques se demandent si l’Eglise ne traverse pas la crise la plus grave de son histoire. Car la publication du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise rendu le 5 octobre met à jour une réalité terrifiante, glaçante par son ampleur et sa gravité.

Avec
  • Céline Béraud sociologue, directrice d’études à l’EHESS
  • Arnaud Fossier Historien du Moyen-Age

C’était en 2019, et le film de François Ozon, Grâce à Dieu, claquait déjà comme un coup de tonnerre. 

On y entendait la voix des victimes d’un prêtre lyonnais, Bernard Preynat, accusé d’agressions sexuelles sur des enfants de sa paroisse. Preynat fut condamné pour ses crimes l’année suivante, de même que le cardinal Barbarin l’avait été en première instance pour ne pas les avoir dénoncés. « La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits », avait déclaré l’archevêque de Lyon. 

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Le temps de la justice des hommes n’est pas celui de la grâce de Dieu, et le temps des réparations outrepasse sans doute celui de la prescription. C’est bien cette question que pose, avec acuité, le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise que son président, Jean-Marc Sauvé, vient de rendre, le 5 octobre de cette année. La réalité qu’il met à jour est terrifiante, glaçante, par son ampleur, sa profondeur, sa gravité. Au point que les catholiques se demandent si l’Eglise ne traverse pas la crise la plus grave de son histoire.

« Pourquoi toujours remuer ces vieilles histoires ? ». Mais parce qu’il n’y a pas de vieilles histoires, il n’y a que l’histoire qui, même quand elle est ancienne, laisse des traces, durablement et profondément, comme des blessures vives.

Avec 

  • Céline Béraud, sociologue spécialiste du catholicisme français, auteure de "Le Catholicisme français à l'épreuve des scandales sexuels" (Seuil), une sociologie du scandale davantage qu'une sociologie des abus sexuels dans l'Eglise. 
  • Arnaud Fossier, historien médiéviste 

La progressive prise de conscience du scandale jusqu'aux révélations du rapport Sauvé 

Céline Béraud : "Beaucoup de révélations avaient éclaté au moment où le scandale commence à éclater en France, dans les années 2018-2019. Toute une série d'affaires qui, tout à coup, pénètrent le débat public et intra catholique. Il y a un phénomène de médiatisation qui est porté par des associations de victimes qui jouent le rôle de lanceuse d'alerte ; les journalistes participent à cette prise de conscience ; début 2019, le film "Grâce à Dieu" de François Ozon et le documentaire d'Arte sur les religieuses abusées, produisent une immense émotion collective dans le catholicisme français et suscite un début de mobilisation. 

Le premier pays qui est traversé par plusieurs vagues de scandales, c'est les Etats-Unis, au milieu des années 80, avec un prédateur qui a fait des dizaines et des dizaines de victimes en Louisiane. Ensuite, il y a plusieurs vagues de révélations, celles du début des années 2000, avec la révélation des journalistes du Boston Globe. Puis, une vague récente avec la Pennsylvanie, qui, suscite une réaction du pape François lui-même en 2018". 

Fin 2018, la Conférence des évêques de France et la Conférence des religieuses et religieux de France mandatent une commission qui va tout changer :  

CB : "Les évêques sont rattrapés par le scandale, ils avaient connu une première vague de révélations des scandales au début des années 2000. Ils avaient pris un certain nombre de mesures et pensaient s'en être mieux sorti que les autres épiscopats américain, australien, irlandais, autrichien, allemand. Ils sont rattrapés par l'affaire Preynat. Progressivement, ils sont contraints de prendre un certain nombre de mesures, de mettre sur pied ce qui a été fait dans d'autres contextes nationaux, c'est-à-dire une commission indépendante pour porter un regard de vérité sur l'ampleur du phénomène et formuler un certain nombre de préconisations". 

Jean-Marc Sauvé constitue la commission. Le rapport disponible en ligne comprend 400 pages, avec 50 experts auditionnés, 252 victimes parmi les 3000 identifiées, dont 1600 qui ont longtemps été identifiées par un appel à témoignages. Mais aussi les archives catholiques. Au total, entre les années 1950-1970, on compte de 216 000 à 330 000 victimes (si on ajoute aux prédateurs les laïcs bénévoles des paroisses).  

CB : "Cette commission met au centre de son travail les victimes et leurs témoignages. Ces personnes qui avaient tenté de se faire entendre, soit à titre individuel, soit en se constituant en associations de victimes. Une force considérable qui donne une légitimité toute particulière à ce travail". 

Un effet boomerang. L'Eglise politise les questions de genre et de sexualité depuis longtemps

Céline Béraud : "Elle est prise à son propre piège sur ces questions-là. La question des scandales sexuels vient mettre un terme au moment du Mariage pour tous (prégnant dans le catholicisme français de 2012 à 2016). 

Le scandale porte en lui-même une forme de disqualification morale de la parole des clercs et des évêques

En particulier celle du cardinal Barbarin parce que "La Manif pour tous", est le pôle le plus conservateur qui mettait en avant justement  la défense des droits de l'enfant. Le pôle le plus conservateur avait construit sa normativité en l'affichant comme étant la plus respectueuse du magistère moral, se positionnant tout particulièrement sur les questions de sexualité des laïcs, avec la mise en avant d'une sexualité légitime exclusivement dans le cadre du mariage hétérosexuel ouvert à la procréation, mais aussi de la sexualité des clercs dans un processus de resacerdotalisation en réaffirmant la grandeur et la nécessité du célibat". 

Cela se comprend dans l'histoire même de la cléricalisation. Ce sont les modalités d'exercice de l'autorité au sein du catholicisme qui sont en jeu : 

CB : "On voit dans les débats qui animent aujourd'hui le catholicisme français, au-delà de la question de la protection des victimes, la nécessité de prendre des mesures préventives, de mieux former le clergé, de multiplier les accords avec les procureurs, avec la justice ; une demande de changement autour de la question du rapport au prêtre, autour des formes de division du travail religieux et de la place des femmes, aussi autour de la sexualité. 

Le scandale c'est ce qui peut faire advenir publiquement une vérité de l'institution et susciter des changements. 

Le scandale est porteur de transformation sociale

Il y a aussi dans la sacralisation du prêtre sa mise à part et, bien sûr, la question du célibat qui joue un rôle important. 

Cette hyper idéalisation du prêtre, encore aujourd'hui dans le catholicisme contemporain, conduit à avoir une vision désexualisée du prêtre et à rendre inimaginable qu'ils puissent fauter 

C'est donc très compliqué pour les personnes victimes de pouvoir exprimer un discours de mise en cause du prêtre". 

Le secret de la confession toujours très actif dans l'Eglise aujourd'hui

Céline Béraud : "Parmi les préconisations du rapport Sauvé, il y a un certain nombre de préconisations qui ont trait justement à des réformes du droit canonique : 

Si l'on parle avant tout de "pédo criminalité", le scandale porte sur des violences sexuelles qui ont aussi été exercées sur des adultes. C'est un angle mort du débat actuel et total chez les évêques, de même que sur les religieuses et les séminaristes. Les évêques ne parlent jamais de ces violences sexuelles sur adultes. 

Il y a aussi la question des relations sexuelles librement consenties, qui participent aussi du scandale. Elles se tiennent par le secret à la fois des sexualités qui sont condamnables par la justice, mais aussi des sexualités qui sont condamnées par l'Église. Comme, par exemple, une sexualité entre hommes d'Église, ou entre un homme d'Église et un autre homme". 

La suite à écouter…

BIBLIOGRAPHIE