Interviewer Michel Rocard

France Inter
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Par Marcelo Wesfreid

Pour interviewer Michel Rocard - ça m'est arrivé deux ou trois fois pour l'Express - il fallait se rendre boulevard Saint-Germain, à Paris. Son bureau se trouvait pile entre le siège du PS et l'Assemblée Nationale. Tout un symbole.

Quand on lui posait une question, à Rocard, Il répondait en fumant cigarette sur cigarette. Avec des phrases à rallonge. Interminables. Il adorait notamment les digressions historiques sur le capitalisme ou le syndicalisme. Le plus souvent d'ailleurs, ce genre des passages n'était même pas retranscrit dans les interviews. C'était jugé hors sujet.

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On sentait qu'il débordait d'idées. Et gare à celui qui voulait le couper. Il vous regardait de haut. Avec un peu de dédain. Il a souvent dit que les journaux, que le robinet d'actualité, les polémiques, ça empêchait les hommes politiques à se projeter dans le long terme. D'ailleurs, dans sa dernière interview, il dézingue François Hollande. Il dit que c'est un président de l'instantané. Qu'il est ballotté, en gros, par la lecture quotidienne de la presse...

Or, pour Rocard, un politique doit s'inscrire dans l'Histoire. Il attendait donc de la presse que les articles soient longs, laissent le temps de développer des arguments, de convaincre. Les petites phrases ou les effets d'annonce, il a toujours critiqué ça.

D'une certaine façon, il n'était pas vraiment en adéquation avec son époque médiatique. On peut dire, plus largement, qu'il n'était peut être pas fait pour la conquête du pouvoir. Il détestait les manœuvres d'appareil, le cynisme des ambitieux. Et ça lui a sans doute coûté l'Elysée.

En même temps, Rocard, il ne fuyait pas les médias ! Pire, il était capable d'aller dans les talk shows les plus racoleurs, souvenez vous, quand il était aller répondre à Thierry Ardisson sur le fameux : sucer, c'est tromper?

Il était capable aussi, j'ai un souvenir précis, de demander à un journal, qui faisait un hors série, de demander à être payé pour accorder l'interview.

C'était un personnage avec ses marottes, mais aussi avec ses contradictions. Un personnage atypique, qui a été beaucoup moqué. Ce qu'on a tendance à oublier un peu vite, en lisant, dans les journaux, l'avalanche d'éloges de la gauche à l'extrême droite.