

Saturés d’images de nus et de plus en plus complexés, les Français réhabilitent-ils une certaine pudibonderie ?
Au premier abord, on pourrait se dire que la question de la pudeur, ou plutôt celle de l’impudeur, n’est pas un sujet de société très neuf. Et même qu’il revient régulièrement sur le tapis depuis plusieurs décennies. Après tout, souvenons-nous de ce qu’affirmait déjà, il y a trente ans, le philologue Jean-Claude Bologne quand il parlait de l’« a-pudeur » de la France des années 80.
Celle de la playmate à une heure de grande écoute le samedi soir, vous vous souvenez ? Celle des affiches pour le minitel rose. Sauf, qu’aujourd’hui, nombre d’entre nous en sont plus que persuadés : cette fois, tout part à vau-l'eau, tout est permis ! Il suffit d’ouvrir les yeux, insiste-t-on : dans la pub, les médias, sur le Net et les réseaux sociaux : la nudité est omniprésente, plus ostentatoire que jamais. Triste pornoculture qui dévoile tout, et ne rougit de rien. Alors, on s’affole et on crie au loup.
La pudeur semble revenir en force
On crie à l’impudeur généralisée. Sauf que dans la réalité des consultations des psys, on n'entend pas forcément le même son de cloche : du côté des analysants, c’est au contraire la pudeur qui semble revenir en force.
Comme l’explique le psychanalyste Gérard Bonnet, loin d’assister à une levée massive des inhibitions, on relève, effectivement, dans les comportements individuels, ce que l’on pourrait appeler un phénomène de « repli », de « préservation de l’intimité ».
Et cette nouvelle « réserve » tranche singulièrement avec le préjugé commun : non, en 2017, la pudeur n’a pas fichu le camp, bien au contraire. Ainsi, selon l’analyste, "l’univers dans lequel nous vivons est même si exhibitionniste, si prompt à proposer un spectacle nu permanent, que de plus en plus d’entre nous réfléchissent à deux fois dès qu’il s’agit de montrer un peu de leur corps." Victimes de la tyrannie du paraître, se « mesurant » constamment à des modèles inaccessibles, beaucoup de femmes et d’hommes avouent, en effet, souffrir de profonds complexes qui les poussent à se couvrir bien plus qu’à se dénuder.
88% des Françaises se disent « pudiques »
Au point que, loin d’être un « lieu de liberté », la plage est devenue un champ de bataille où on cherche davantage à se dissimuler qu’à se montrer.
Un chiffre étonnant : selon un sondage Ifop, 88% des Françaises se disent « pudiques » ! Et, où que vous soyez au bord de l’eau cet été, observez bien la grève : plus beaucoup de corps féminins en topless. Seules 12 % des Françaises auraient encore envie d’enlever le haut. Et ce chiffre ne cesserait de baisser.
C’est donc un fait : effectivement, notre rapport à la pudeur est en train d ‘évoluer. Mais pas forcément dans le sens de nos préjugés.
« Sur-saturés » d’images de nus et de plus en plus complexés, les Français réhabilitent-ils, finalement, une certaine pudibonderie ?
Disons plutôt que notre appréhension de la pudeur est progressivement en train de se « rééquilibrer ». Et ce n’est évidemment pas la première fois à travers l’Histoire. Pensez donc : entre les seins omis au Moyen-âge, affichés au XVIIIe siècle, chastement recouverts au XIXe, puis de nouveau libérés entre 1970 et 2000, que de variantes.
Selon Claude Habib, professeure à l’université Sorbonne Paris Cité, il ne faut donc surtout pas oublier que la pudeur se présente d’abord comme un processus dynamique. Et, qu’à chaque époque, un équilibre finit par se former entre permissivité et pruderie excessive.
Et c’est peut-être tant mieux : parce qu’à juste dose, et (évidemment) consentie, la pudeur n’est-elle pas aussi un clair-obscur qui accroît la « désirabilité » de ce qu’elle cache ? Le « piment du désir » ?
- Gérard Bonnet est auteur de La tyrannie du paraître (éd. Eyrolles) et de La vengeance (éd. In Press)
- Claude Habib est auteure de La Pudeur : la réserve et le trouble, éd. Autrement, de Le goût de la vie commune, éd. Flammarion, et du roman Deux ou trois nouvelles du diable, éd. Bernard de Fallois (2016).
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