Vous en avez entendu parler : la dernière polémique déclenchée par Cyril Hanouna, l’animateur star de C8 : plus de 20 000 plaintes pour homophobie ont été déposées auprès du CSA
En cause : une séquence où l’animateur piégeait en direct des hommes inscrits sur des sites de rencontres homosexuelles. Une simple blague, se défend-il…Qui déclenche un déluge de commentaires sur les réseaux sociaux et rappelle que la lutte contre l’homophobie est loin d’être gagnée.
C’est l’histoire d’Amine,
Petit garçon discret, adolescent secret, pas comme les autres c’est vrai. On ne le trouve pas hyper viril, ses parents disent qu’il est « fragile ». Ses potes savent qu’il n’est pas comme eux, mais ils s’en foutent, ils ferment les yeux. Jouent avec lui, parlent avec lui, depuis tout petits, ils sont amis. Sauf quand le caïd s’amène, avec sa bande, avec ses hyènes. Amine est dans leur ligne de mire, il va morfler, y a pas à dire. Ses potes ont peur, ils baissent la tête. Regardent leurs pieds, se sentent si bêtes… Ils aimeraient intervenir, ils bouent, ils ragent, mais ils le savent : ils sont tous beaucoup trop petits, pour faire le poids, pour protéger Amine leur ami si secret.
Amine dérange
Amine qui par tout ce qu’il est, dérange les lois de la Cité. Ici on aime les hommes les vrais. Avec des muscles, avec des poils, et la voix grave qui fait si mâle. Ceux qui sentent la testostérone, des aisselles jusque dans la pogne. Amine transpire sa différence, et par tous les pores de sa peau. Alors depuis qu’il est minot, il mesure l’intolérance d’une cité, et d’un quartier, et puis de toute la société.
Il est Pédé ? Il va payer. On veut le faire rentrer dans le rang, devant tous ses potes impuissants. Dans les bons jours, juste un crachat, quelques insultes et puis s’en va. Mais bien souvent, on le roue de coups, on le menace, le tient en joue. Tête de turc, bouc émissaire, Amine apprend à esquiver. Demain, aujourd’hui, avant-hier… Tous les jours changer de chemin, pour pouvoir rentrer du lycée. Ou bien alors, ne pas rentrer. Quand ça chauffe trop, Amine le sait, mieux vaut éviter la Cité.
Dormir dehors, c’est moins risqué
Les années passent, Amine fait face. Et puis un jour, il disparaît. Plus de Cité, plus de lycée, plus de menaces : il a la paix. Surtout plus de mauvais garçon qui n’ont de caïd que le nom. Amine a voulu se faire la malle, se tirer, voulu mettre les voiles. Ses parents parlent d’accident, à la cité qui fait semblant, de croire qu’un adolescent, n’a pas pu mettre fin à ses jours, qu’il n’a pas pu se suicider, ce serait trop triste pour la quartier.
Amine est mort, il y a 25 ans. La semaine dernière, on l’a re-tué. C’est ce qu’écrit un de ses amis, il s’appelle Ismael Saidi. Scénariste, réalisateur, il était devant sa télé – avec son fils, juste à côté. Il y jetait un œil distrait, mais il est resté subjugué, en voyant Hanouna piéger en direct un homo, un gay. Il l’humilie, se moque de lui, parle avec une voix haut perchée et fait des mouvements du poignet. Ismail lui reste scotché, il est comme téléporté. Dans son passé, dans la cité, avec son ami si secret. Et puis alors, les larmes viennent. C’est de la rage et c’est de la peine. C’est surtout les mêmes rires de hyènes, qu’il entend là, à la télé, qu’il entendait, dans la cité, quand Amine se faisait tabasser. Le fils d’Ismail n’en revient pas et lui non plus, ne rigole pas : « y a des limites, quand même, papa ! Ca c’est pas drôle, ça, ça se fait pas ». Non, mon fils, non, ça ne fait pas. Je croyais même que ça se faisait plus, que c’était un monde révolu et que les casseurs de pédés étaient morts avec le passé.
A défaut de les enterrer, Ismail éteint la télé. Et sur Facebook il va écrire, l’histoire d’Amine, allez la lire. Le texte est brut, il est glaçant. Minimaliste, il est troublant. Troublant de voir, comme cette histoire, n’a pas de fin, comme nos mémoires tiennent en leur sein, tous ces Amines morts pour rien - ou presque - car, on le sait bien, l’homophobie, continue de tuer. La semaine dernière, journée mondiale, les chiffres ont été publiés. En France, c’est une recrudescence : +20% d’actes homophobes sur une toute petite année. Une agression, tous les trois jours, et l’homophobie court toujours. Il y a 25 ans, Amine croyait qu’en partant il aurait la paix. J’espère vraiment qu’il l’a trouvé, qu’il peut dormir à poings fermés.
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