Si dans l’imaginaire collectif, le viol a souvent lieu en pleine nuit, en pleine rue, en réalité c’est bien souvent par des très proches qu’il est commis…
Des proches que, par exemple, on nomme « amis » sur les réseaux sociaux. C’est l’histoire que vous nous racontez aujourd’hui, Giulia Foïs et elle nous emmène à Melbourne, en Australie.
L’histoire de Cassidy, sa fille, elle écrit. Sur Facebook elle écrit ; des photos elle poste aussi. On y voit Cassidy, adolescente qui sourit… Elle est jolie, Cassidy : longs cheveux bruns, soyeux, surtout de très très grands yeux bleus. Des joues roses, une peau de lait, et puis trois lettres : RIP… Rest in peace, Cassidy, repose en paix ma chérie. Car la mère qui écrit est orpheline de fille. Oh oui, je sais, la formule est bancale, mais pas de mots pour dire ce mal… Pourtant la mère les a trouvés, ces mots un soir de janvier, pour dire sa peine : la coupe est pleine, alors les mots ont débordé, pour dire ce qu’il s’est passé, raconter cette vie amputée.
D’abord les 13 premières années, d’une tranquille banalité. Et le moment où ça a glissé. Comme ça dans la cour de récré. La mère écrit qu’elle la voyait, rentrer chaque soir à la maison, avec chaque soir le dos plus rond. Cassidy a l’échine courbée, Cassidy garde les dents serrées, c’est un cri qu’elle veut étouffer. Seulement voilà Cassidy craque. Elle raconte les attaques, au collège on la moque et parfois on la tape. Une bande de filles l’a prise pour cible, alors arrive l’impossible. On la suit jusque devant chez elle, lui hurle dessus, on la harcèle. On macule même sa maison, de peaux de bananes, de vieux quignons. Sur les réseaux, on se passe le mot. Mais Cassidy fait le gros dos. On l’insulte, on la traite de pute, au début la jeune fille occulte. Et puis jour elle capitule : la meute hurle au crépuscule, Cassidy déclare forfait. Le collège, elle cesse d’y aller. Six mois se passent, elle veut faire face. Cassidy reprend le chemin, de l’école, ça lui fait du bien. La bande de fille vient s’excuser, Cassidy en est soulagée. Cette fois, oui, elle aura la paix. Et même des nouvelles amies, puisqu’un jour ses anciennes ennemies, insistent pour qu’elle vienne avec elles, dans une fête, « viens, ce sera mortel » !
On est au mois de Février, Cassidy part le cœur léger, dans cette soirée où l’attendaient, les filles qui l’avaient harcelée. Avec elles, il y a trois garçons : vite, on fait les présentations et alors sans plus de façons, on gagne l’arrière de la maison. T’inquiète on va bien rigoler, arrête de faire ta timorée. Cassidy se laisse entraîner. La porte claque, verrou fermé. Les autres filles à l’extérieur, les trois garçons, à l’intérieur. C’est là que Cassidy prend peur : il est trop tard, elle est toute seule et les garçons se foutent de sa gueule. « Déshabille-toi et viens par là, non, ne bouge pas, avoue, t’aimes ça ». Ils sont à trois. Trois qui la violent, trois qui rigolent. Et les filles qui l’avaient piégée ? Y a plus personne, tiens, on dirait.
Cassidy ramasse ses affaires, Cassidy doit retourner chez elle. Ce faisant elle laisse derrière tout ce qui fait qu’elle était elle. La mère écrit qu’elle voit rentrer quelqu’un qui ressemble à sa fille, à ceci près qu’elle est brisée. A ceci près qu’elle vacille. Aussitôt elle la fait parler. Aussitôt elle veut l’emmener, chez les flics pour y déposer une plainte, pour la protéger. Cassidy ne veut pas y aller, pas plus qu’elle ne veut parler à son proviseur : elle a peur, forcément, ils l’ont menacée. De la retrouver, de se venger. Donc Cassidy préfère se taire. « J’ai vu ma fille se faner » écrit la mère, désespérée. La blessure est une fêlure. Ca ne se voit pas sur la figure, mais c’est dedans que ça se fissure. Pendant deux ans, doucement, sûrement. Cassidy chute lentement. D’abord les cauchemars qui réveillent et puis on perd le sommeil. Bien vite c’est l’angoisse qui tenaille, qui étreint, qui creuse la faille. Cassidy change d’école deux fois, mais chaque fois ils l’ont retrouvée, la bande qui l’a harcelée et ça n’a fait que recommencer : sur les réseaux, au téléphone, Cassidy se fait insulter. Et pour le viol, tout le monde sait. Mais c’est elle qui l’a bien cherché. Alors un jour, elle n’en peut plus et elle décide de s’en aller. Se foutre en l’air pour oublier. Se foutre en l’air, pour respirer. A ceux qui ont violé sa fille, la mère écrit : vous l’avez tuée. Vous ne pourrez jamais oublier. A tous ceux qui lisent, elle écrit : partagez, faites circuler. Car on sait bien, dans ces affaires, comme le silence est mortifère. Comme il protège l’agresseur, comme il dédouane le violeur. C’est pour ça que la mère écrit, l’histoire de sa fille Cassidy. Pour ça qu’il fallait partager, cette histoire et ce RIP.
L'équipe
- Chronique