

Est-ce l'influence néfaste des réseaux sociaux ? L'effet Zahia, du nom de cette ancienne prostituée reconvertie avec succès dans le cinéma ? Les cas de prostitution chez les adolescentes sont en hausse vertigineuse. Et cela inquiète le monde judiciaire et les parents.
La voix est hésitante, entrecoupée de sanglots secs.
Pas facile de raconter pareille histoire.
Andrea a été violée à l'âge de 6 ans par un inconnu. A 14 ans, brisée, elle se lance dans la prostitution. L'une de ses connaissances fait office de proxénète.
"J'en arrivais à imaginer que cela pouvait être valorisant d'être choisie par les hommes, de recevoir de l'argent ou des cadeaux pour qu'ils couchent avec moi", explique la jeune femme, aujourd'hui majeure. "On se retrouvait dans des bars privés, on nous servait le champagne à une table à part avec mes copines", poursuit-elle. "Je me sentais un peu princesse, quelqu'un à part quoi".
Adolescente et prostituée… Quatre années à cumuler les passes, à vivre sous l’emprise de souteneurs à peine plus vieux qu’elle. A supporter toute cette violence dans l’excès de drogues et d'alcool. Car la prostitution a été une expérience très violente pour Andréa.
"Pendant cette période, je me raccrochais à une représentation sexy et poétique de la prostitution", confie-t-elle_. "Mais la réalité ce n'est pas cela. La réalité c'est de la violence, c'est des coups, des viols, des insultes, des crachats. Ce n'est pas des rapports sexuels dans la prostitution. C'est de la domination. C'est vraiment être réduite à un état d'objet. On perd son humanité_".
La prostitution des mineures a souvent été appelée dans la presse "le proxénétisme des cités". La dénomination est en réalité bien trompeuse. Les quartiers dits sensibles ne sont pas les seuls à voir une partie de leur jeunesse se perdre dans ces micro réseaux, constitués d’une ou deux filles qui travaillent pour une connaissance, parfois un petit ami.
Police, justice : tout le monde s’accorde à dire que la prostitution des adolescentes prend de l’ampleur. En deux ans seulement, quatre fois plus de dossiers ont été traités en France. Et sur ces quatre dernières années, les affaires de proxénétisme sur mineurs ont été multipliés par six**.
Pourtant, rappelle Arthur Melon de l'association ACPE (Agir contre la prostitution des enfants) "un mineur en France n'a pas le droit de se prostituer. C'est le cas depuis 2002. La loi dit clairement que la prostitution des mineurs est interdite sur tout le territoire".
Tout client qui fait appel à un mineur risque trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.
La prostitution des mineures est pourtant un trafic en plein essor et particulièrement lucratif. Une prostituée mineure peut rapporter jusqu'à 1000 euros par jour. Ces réseaux sont difficiles à démanteler car ils sont flexibles. Ils se créent, prospèrent, se mettent en pause.
Pas besoin d'une grosse mise de départ ou d'une logistique importante, contrairement au trafic de drogue. Une ou deux filles, une chambre d'hôtel et Internet pour recruter des clients.
Au départ, les jeunes filles ne se considèrent pas forcément comme des victimes.
Pour certaines, souvent en rupture familiale, vendre son corps n’est pas grave. C'est même une mode, ce que le monde judiciaire appelle "l’effet Zahia", du nom de cette ancienne prostituée mineure "offerte" à Franck Ribéry pour un anniversaire.
"C'est une jeune femme (Zahia, NDRL) qui a une véritable réussite sociale et matérielle à son niveau à elle", explique Raphaëlle Wach, magistrate spécialisée dans le proxénétisme sur mineurs au Parquet de Créteil. "Pour certaines adolescentes, la prostitution peut représenter un ascenseur social là où les autres formes d'ascenseur social n'existent plus tellement dans notre société".
Il ne faut pas non plus négliger l’influence de la télé réalité. La notoriété, et l’immense fortune de Kim Kardahsian, star du petit écran américain, s’est bâtie sur une vidéo d’un rapport sexuel avec son petit ami de l’époque.
"Prostitution des adolescentes : l’inquiétante progression" : un reportage de Géraldine Hallot avec une prise de son de Georges Thô.
* (le prénom a été changé NDRL)
** d'après le décompte de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH).
Aller plus loin
- Le site de l’ACPE, Agir Contre la Prostitution des Enfants
- Rapport de la fondation Scelles « Système prostitutionnel : Nouveaux défis, nouvelles réponses » (5ème rapport mondial), 2019
-
« Prostitution des mineurs : mettre fin au déni généralisé », par Antoine Sillières, Le Lanceur, 06/12/2016
Le site du mouvement du Nid - CR de la Journée d’étude « Prostitution des mineurs : nouveaux réseaux, nouveaux trafiquants », dont l’École Nationale de Protection Judiciaire de la Jeunesse était partenaire, le 29 novembre 2018
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