Castella (Jean-Pierre Bacri) dans "Le Goût des autres" ou l'art de ne pas faire semblant

Jean Pierre Bacri et Anne Alvaro dans "Le gout des autres" d'Agnès Jaoui (2000)
Jean Pierre Bacri et Anne Alvaro dans "Le gout des autres" d'Agnès Jaoui (2000) ©AFP - Canal+ / France 2 Cinéma Canal+ / Collection Christophe
Jean Pierre Bacri et Anne Alvaro dans "Le gout des autres" d'Agnès Jaoui (2000) ©AFP - Canal+ / France 2 Cinéma Canal+ / Collection Christophe
Jean Pierre Bacri et Anne Alvaro dans "Le gout des autres" d'Agnès Jaoui (2000) ©AFP - Canal+ / France 2 Cinéma Canal+ / Collection Christophe
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Mon ami est chef d’entreprise, pas vraiment cultivé, il a une moustache peu seyante. À cause de son épouse qui, elle, a vraiment des goûts très particuliers, il vit dans une véritable bonbonnière. Ce qui ne l’empêche pas de lancer des réflexions masculines lourdingues sans réfléchir.

"Le Goût des autres", film dont je prescris la vision une fois par an tant le snobisme, la beaufitude, le mépris des autres et la non estime de soi, l’art et les mauvaises manières y sont brassées et renvoyées dos à dos jusqu’à ce que les autres importent plus que leurs goûts.

Castella, donc, un soir, se rend au théâtre, et franchement, ça l’emmerde, il se demande quand il va bouffer. Et puis, paf, c’est la révélation de la beauté : non seulement, il tombe en adoration devant Bérénice de Racine, mais ce premier pas dans le monde de la culture le fait fondre devant l’œuvre d’un jeune peintre, qui se fout un peu de sa gueule au début. Qu’à cela ne tienne, Castella aime une toile contemporaine. Il ne fait pas semblant, il ne cherche pas à avoir bon goût, il l’aime un point c’est tout.

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Mais personne ne le croit. Surtout Clara, sa prof d’anglais, celle qui l’a fait pleurer en jouant Bérénice, celle dont il est tombé amoureux, et qui lui a bien fait comprendre qu’ils n’étaient pas du même monde, et elle vient s’excuser - c’est à cause d’elle qu’il a acheté cette toile au jeune artiste, évidemment, c’est juste pour épater la galerie. Voilà ce que répond Castella :

« J’aime ses peintures, je les achète, voilà, c’est tout, je ne vois pas où est le problème. Et vous, vous pensez que je les ai achetées pour quoi ? Vous pensez que c’était pour vous plaire, c’est ça ? Pour me faire bien voir ? Vous n’avez pas imaginé une minute que cela pouvait être par goût. »

Et là attention, rarement quelques secondes de cinéma français ont atteint ce bouleversant goût amer car il y a dans sa voix, dans ces deux mots "par goût" une légère brisure, un petit souffle qui contient toute l’humiliation du monde. Suit le bruit de sa bouche, devenue sèche sous le poids du mépris, puis :

« C’est ça l’opinion que vous avez de moi ? » Un petit hochement de tête dans lequel Bacri réussit à caser deux tonnes de résignation et il conclut, en se détournant vers la fenêtre : « NE VOUS INQUIÉTEZ PAS, c’est par goût, même si cela vous semble incroyable ».

Il arrive qu’une seule phrase d’un livre, qu'une seule réplique d’un film s'impose soudain à vous comme la plus sonnante et définitive des leçons. Moi, c’est ce petit décroché dans la voix de Jean-Pierre Bacri, miraculeux générateur d’empathie. Dès que je me sens glisser sur la pente du snobisme, clic clac, c’est automatisme, je pense à Castella. Et à la suite de la scène : un long plan séquence sur la prof d’anglais qui marche, visage fermé, dans la rue. D’avoir été si présomptueuse, de ne pas avoir imaginé une seconde que cet homme pouvait être fait pour la beauté, elle doit avoir un mauvais goût dans la bouche. Ceux qui ont vu le film savent qu’il y a des chances qu’ils finissent ensemble : donc même si ses cravates restent un problème, l’essentiel est qu’elle aime le goût de ses lèvres.