La question, largement étudiée dans les pays industrialisés n'a fait l'objet que de très rares études auprès de populations traditionnelles. Un travail auprès des Chimane d'Amazonie Bolivienne révèle que la durée moyenne des paroles adressées aux enfants de 0 à 4 ans est inférieure à une minute par heure.
Les Chimane sont une population de chasseurs-horticulteurs de l'Amazonie Bolivienne. En s'appuyant sur les données collectées par des collègues anthropologues américains qui suivent cette population depuis 15 ans, des chercheurs du Babylab, le laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique à l'Ecole normale Supérieure de Paris ont découvert, surpris, la grande différence entre le temps accordé à parler aux bébés dans ce groupe comparativement aux pays industrialisés. Jusqu'à 10 fois moins!
6 villages et près de 1000 individus ont été suivis pendant 3 ans de 2012 à 2015. Toutes leurs activités quotidiennes étaient consignées. Et c'est en utilisant ces informations que Jonathan Stieglitz et Alejandrina Cristia ont pu analyser le temps de parole de 0 à 11 ans. Il apparaît que jusqu'à 4 ans, le temps de parole est en moyenne de une minute par heure, de 4 à 8 ans, il double et double encore de 8 à 11 ans. Leur travail est publié ce 2 novembre dans la revue scientifique Child Development.
Peu de dialogue contrairement à l'Occident
Pourquoi si peu de place accordée au langage ? Pourquoi ces enfants ne sont-ils pas considérés au début de leur vie comme des interlocuteurs à part entière? Tout le contraire de ce que nous faisons chez nous où on sur-investit la parole, jugeant que plus on parle au bébé, plus riche sera son vocabulaire et exacte sa syntaxe. Il n'y a pas plus fier parent que celui qui peut mettre en avant les capacités linguistiques de son rejeton à 2 ans !
Qui parle à ces enfants ? Au début leur mère puisqu'elle les allaite. Mais ensuite selon ces chercheurs, d'autres adultes et surtout d'autres enfants se mèlent à la conversation . 80% du temps de parole vers 8 ans vient d'autres enfants. Comment apprennent-ils leur langue si on leur parle si peu ? C’est toute la question !
Existe t-il un processus universel d'apprentissage?
Peut—être que le fait d’observer, de développer des capacités motrices joue un rôle car dès 4 ans, ces enfants aident déjà beaucoup aux taches ménagères. Si on ne sollicite pas autant qu’en Occident la parole, d’autres compétences sont transmises. Nos certitudes sur l’apprentissage d’une langue sont-elles si justes ? Y a t-il une seule façon, universelle d'apprendre à parler ? N’y aurait-il pas un socle biologique qui explique comment notre langue maternelle est devenue à l'échelle de l'humanité un système de communication unique, indépendamment du lieu ou de l'environnement de naissance ?
C'est une hypothèse que les chercheurs vont tenter de vérifier. En enregistrant les échanges verbaux sur des journées entières et en comparant leurs résultats avec des bushmens de Namibie et un groupe de Mayas, 2 autres populations actuellement étudiées.
L’un des grands mérites de cette étude c’est l’absence de subjectivité, de biais méthodologique comme on dit. Les chercheurs n’ont pas, comme d’habitude, voulu vérifier une hypothèse sur le terrain. Ils ont simplement examiné une grande quantité de données. Et fait jaillir l’inattendu !
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