

La Commission européenne a proposé une directive pour endiguer ce que les journalistes appellent des "procédures-bâillons".
Vous souvenez-vous de Daphné Caruana Galizia, assassinée à Malte en 2017 pour ses enquêtes sur la corruption ? Lorsqu’elle est morte, elle faisait face à 40 poursuites judiciaires. 40. Ses héritiers doivent encore y répondre aujourd’hui.
« Poursuites-bâillons ». Les anglo-saxons parlent de « slapp », « gifle » en anglais, mais aussi acronyme de « Strategic Lawsuits Against Public Participation ». Le principe est simple. Si vous êtes un particulier très riche et très puissant, ou bien une entreprise, ou même un État (je vous rappelle que le Maroc a porté plainte contre des journalistes français ayant enquêté sur le scandale PEGASUS), il existe un moyen très efficace de décourager la presse : noyer littéralement le média qui vous dérange sous une avalanche de procès. Diffamation, violation du secret des affaires, atteinte au secret de la défense, recel de violation du secret professionnel ou du secret de l’instruction, etc… la palette des motifs qui permettent de porter une affaire médiatique en justice est large…
Dans certains pays (et même chez nous, lorsqu’on touche à la Défense, la crainte de sanctions pénales peuvent s’avérer dissuasives, confère ce qu’encouraient nos confrères de France 2 et Disclose révélant la destination des armes vendues par la France à l’Egypte ou à l’Arabie Saoudite. La plupart du temps, ce n’est pas tant une peine de prison à la clé qui empêche de travailler, mais l’accumulation des huissiers, des pièces à fournir, des frais d’avocats, des citations à comparaître qui découragent. Un harcèlement judiciaire voué à entraver, intimider et mettre sur la paille les médias indépendants. Souvenez-vous, le site d’info Bastamag poursuivi par Vincent Bolloré. Financièrement, le pot de terre face au pot de fer. L’homme d’affaires est réputé pour ses poursuites-bâillons : des journalistes comme Benoit Colombat, à France Inter, ou bien Nicolas Vescovacci, peuvent en témoigner.
Hier, la Commission européenne a formulé ses propositions contre les « slapp ». Elle se concentre sur les poursuites au civil ayant une implication transfrontalière, mais invite les Etats membres à adopter les mêmes mesures au niveau national. Il s’agit de permettre aux juges le rejet anticipé des procédures infondées, d’inverser la charge de la preuve (au plaignant de justifier qu’il y a matière au litige, non plus aux journalistes de s’en dédouaner), de faire porter le coût financier au plaignant si l’abus est démontré et de lui infliger des sanctions rédhibitoires.
Un premier pas avant la grande loi européenne sur la liberté des médias. Elle est attendue d’ici la fin de l’été. Ça sert aussi à ça, l’Europe.
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