Hier, la presse australienne est parue avec des unes entièrement caviardées de noir. Imaginez votre journal dont la titraille, les illustrations, les légendes et chaque ligne de chaque article auraient été barrées au marqueur noir.
Ces unes ont fait le tour du monde, évidemment. Un acte fort pour dénoncer le secret auquel est de plus en plus soumise l’information dite « sensible ».
Problème : « sensible » aux yeux de qui, dans l’intérêt de qui et selon quel critère ?
Les journalistes australiens s'interrogent quand ils qui voient le gouvernement chercher à museler diverses révélations de la presse. Des Unes recouvertes de noir pour montrer la réalité de la censure, donc. Ce qui rappelle d’autres quotidiens parus avec des trous. Un petit vide disant parfois bien plus qu’un grand discours.
Pendant la Première Guerre mondiale, la censure se réserve le droit « d’échopper », ça signifie « couper », « tout ce qui tend à surexciter l’opinion ou à affaiblir le morale de l’armée et du public ». Les ciseaux s’abattent sur les journaux, juste avant imprimerie. Mais techniquement, on ne peut pas, à l’époque, remplacer les articles interdits sur la morasse. Ainsi les éditions paraissent-elles pleine de blancs, en lieux et places des titres et papiers manquants. Celles du Canard Enchainé sont demeurées collector, justement parce que la censure s’y raconte visuellement.
Mais où en est la censure, un siècle plus tard ?
Un siècle plus tard, fort de cette référence ancrée dans la mémoire collective, Libération fait, pour accrocher l’œil, un choix sidérant. Voulant dénoncer la situation alarmante des photographes de presse, le quotidien remplace toutes ses photos par des blancs. « Des cadres vides qui créent un espace de silence… comme si nous étions devenus un journal muet », écrit ce jour-là, la journaliste de Libé Brigitte Ollier.
Plus récemment, c’est le journal le plus lu d’Europe, le Bild allemand, qui a cherché à créer un choc visuel, donc un sursaut de conscience, par l’absence. C’était peu après la parution, partout en occident, de la photo d’Eylan, petit Syrien en tee-shirt rouge retrouvé mort sur la grève, face contre sable. Débat ulcéré. Fallait-il ou non publier ? Le Bild coupe court et sucre, un jour de septembre 2015, toutes les photos de son numéro pour signifier, en creux, le pouvoir de l’image…
Confronter le lecteur à du rien pour qu’il éprouve et mesure combien l’information c’est du plein.
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