La tragédie d’Alep n’a pas créé, ces derniers mois, d’indignation dans la société française ?
Oui, pourquoi Alep n’est pas, auprès des intellectuels français, et de la partie de l’opinion qui se mobilise d’habitude, le Sarajevo d’aujourd’hui ? Pourquoi cette débauche de barbarie ne suscite-elle pas l’indignation des consciences ? Pire que le dédain populaire, il se trouve dans le monde politique des responsables de partis respectables et d’ordinaire humanistes, à LR ou au Parti de Gauche, pour se réjouir du triomphe de Poutine sur ce qu’ils appellent encore les terroristes, confondant –par un amalgame coupable- DAECH, (qui n’est pas à Alep), Al Nosra (donc al Qaeda), les rebelles plus ou moins modérés, avec ces nombreux groupes de la population, organisés par quartier pour résister et qui étaient les plus nombreux et premiers visés… bien avant les djihadistes de tous poils…
Il y a aussi une guerre de l’information qui a tourné à l’avantage des Russes…
Oui, le plus édifiant c’est ce nouveau rapport à la vérité qui s’empare même de responsables politiques (Valérie Boyer ou Thierry Mariani à LR) qui préfèrent croire les médias russes contrôlés par le pouvoir plutôt que les informations des ONG comme Human Rights Watch, qui alertaient sur les ciblages de civils, d’hôpitaux, sur ces lâchers de barils d’explosifs au-dessus des quartiers populaires. Qu’ils ne croient plus les journalistes, c’est désolant (on commence à être habitué), mais que certains chez F.Fillon ou au PG gobent à ce point la propagande du Kremlin est édifiant et rappelle la cécité volontaire du PC d’antan envers l’URSS. Le responsable défense du Parti de gauche mettait encore hier soir en cause (par tweet) les informations des humanitaires sur la destruction des hôpitaux d’Alep ! La gauche en particulier aurait dû s’intéresser de plus près à ce qui se passait à Alep, depuis que la population a bouté, elle-même, il y a deux ans, Daech hors de la ville. Des mouvements de jeunes gens simplement épris de liberté, pas de religion, tentaient, comme l’ont bien décrit les chercheurs Adan Brazko, Gilles Doronsero et Artur Quesnay (encore dans le Monde de hier), tentaient de se défaire de plusieurs décennies de l’une des dictatures les plus sévères de la planète et de créer à Alep-Est une administration libre et inventive, justement en évitant le biais communautaire ou jhiadiste. Personne ne les a aidés. Ils ont même été visés spécifiquement. Il ne fallait pas qu’un embryon de démocratie, de révolution survive. Les dictatures et leurs alliés craignent plus les hommes libres que les fous de Dieu. C’est la tragédie des printemps arabes morts hier à Alep. Les Français, accablés par les attentats, saturés d’information et de propagande mises au même plan, fatigués des échecs de toutes les interventions dans les pays en guerre, n’ont pas voulu voir la spécificité d’Alep. Et puis la vague conservatrice, la déconsidération de ce que l’on appelle maintenant avec mépris « le droit de l’hommisme » a fait le reste. Estimer que les droits de l’homme sont des valeurs universelles (et oui même accessibles aux Arabes !), c’est être naïf, bien-pensant. Alep n’est pas simplement victime des Russes, elle est aussi victime de cette époque où l’humanisme est une faiblesse et où la vérité n’est plus qu’une opinion comme une autre.
L'équipe
- Production
- Autre