Hier, Marlène Schiappa a repris le terme "ensauvagement" utilisé par Gérald Darmanin. Affirmer que ce mot pose problème n’est pas faire preuve de "bienpensance", de naïveté ou de laxisme… Non, ce mot choisi (comme beaucoup de vocables en politique) est un véhicule d’idéologie, l’agent d’une certaine vision du monde.
Il est prononcé aussi pour cliver, c’est-à-dire pour être dénoncé par les uns et ainsi opérer une fonction de rassemblement des autres. Ce mot avait été remis dans le débat par l’auteur d’extrême droite à succès Laurent Obertone dans son livre, en 2013, La France Orange Mécanique, qui décrit un pays au bord de la guerre civile et ethnique. Depuis, Valeurs Actuelles et le Rassemblement national parlent "d’ensauvagement" pour décrire une pente, à la lumière de la progression de l’incivisme et d’actes de violence, et même d’ultra violence, beaucoup plus visibles du fait des réseaux sociaux.
Mais que cette augmentation de la violence soit réelle ou supposée, accoler à ce phénomène le mot "ensauvagement" c’est, en bon pompier-pyromane, participer à la morcellisation, à l’archipélisation de la société que l’extrême-droite dénonce par ailleurs. Deux ministres macroniens s’emparent de ce vocabulaire, c’est une victoire culturelle de l’extrême droite.
Ce mot en particulier bestialise ou chosifie une partie de la population
C’est Valladolid ! les Indiens ont-ils une âme ? Sans bien sûr, ici, désigner précisément de qui l’on parle. Il ne s’agit pas de dénoncer le comportement d’individus mais d’évoquer une tendance lourde, une évolution forcément due à une partie de la population. C’est une violence symbolique à l’égard de tous les relégués dans certains quartiers, victimes de la ghettoïsation ou d’une forme de discrimination, réelle ou supposée… en tout cas vécue comme telle.
Parler "d’ensauvagement" quand on est ministre de la majorité, c’est laisser croire (à toute une partie de la population) que la majorité des Français les voient comme des sauvages. C’est-à-dire comme des sous humains. Quand cette partie de la population aura intégré qu’elle est perçue comme cela, la morcellisation et l’archipélisation auront progressé. Les différentialistes, les intégristes, les racialistes, sont ravis que le ministre de l’Intérieur les traite de sauvages : cela donne raison à leur théorie.
Emmanuel Macron entend lutter contre le séparatisme avec des accents républicains, le mot "ensauvagement" va à l’encontre de cette ambition. Gérald Darmanin, qui pourtant, dans sa culture familiale, dans sa culture politique de droite sociale, est un républicain, n’a (espérons-le) pas compris la portée symbolique de ce mot en lui-même séparatiste. Certes, Gérald Darmanin a comme mission de faire en sorte que l’électorat de droite soit avec Emmanuel Macron en 2022, mais il y a certainement des façons moins grossières et moins dangereuses pour la cohésion nationale d’accomplir cette mission stratégique.
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