Nous assistons, dans cette primaire, à une spectaculaire polarisation des finalistes
Faites l’expérience : regardez Alain Juppé de dos quand il dénonce, je cite, « la casse sociale » que représente le programme économique de François Fillon, vous verrez (pour les plus vieux d’entre vous) le crâne d’Henri Krasucki. Faut-il que la situation soit à ce point désespérée pour que (avec quand même à ses côtés Hervé Mariton et Jean-François Copé), Alain Juppé use ainsi du vocabulaire de la CGT : « casse sociale » ! Alors que les programmes des deux candidats, sur ces sujets, ne sont pas si éloignés… En revanche, quand il souligne le déport droitier de son concurrent sur les questions de société, il dit vrai. Le conservatisme de F.Fillon éclate au grand jour, alors qu’avant dimanche, il était dilué dans un discours à dominante économique, atténué par un ton maitrisé et serein. Et surtout étouffé par les outrances bruyantes de N.Sarkozy, que d’ailleurs F.Fillon ne se privait pas de critiquer.
Pourquoi insiste-t-il sur les thèmes sociétaux, clivant, alors qu’il est quasiment sûr de gagner dimanche ?
Sans doute parce qu’il a étudié de près la structure provinciale, bourgeoise, âgée et catholique, de l’électorat de la primaire. Peut-être aussi parce que ce sont ses convictions, et que le vent du moment le porte à libérer sa parole. F.Fillon a dit hier que, selon lui, la « France n’a jamais été aussi à droite ». Il veut aussi puiser dans le grand réservoir du FN réactionnaire du sud, les moyens d’une puissance politique pour sortir en force de cette primaire, avec un score de maréchal. Mais pourtant, il y a très peu de mesures sociétales concrètes prévues dans son programme. Certes il veut réécrire la loi Taubira sur la question de l’adoption plénière et lancer un projet de changement des programmes d’histoire pour revenir à un roman national à l’ancienne… Le reste ce sont des mots, des « à titre personnel, je pense que » sur la question de l’avortement, par exemple, une petite musique de victoire culturelle conservatrice à coté de laquelle il ne veut pas passer. Il est un projet tout de même qui passe inaperçu… c’est cette menace qu’il brandit depuis quelques semaines, de prévoir que la France quitte la Cours Européenne des Droits de l’Homme si celle-ci ne change pas de doctrine sur la question de l’adoption des enfants par des couples homosexuels. Pouvoir estimer que la France s’affranchisse des règles européennes en matière de droits de l’homme est un signe tangible et assez édifiant de l’évolution (donc plus que sémantique) de F.Fillon sur les questions de société. Au fond, la question essentielle est de savoir si F.Fillon exprime un avis qui monte dans la société, ou s’il exprime un avis déclinant mais qui se décomplexe et représente juste le noyau conservateur de la droite mobilisée pour la primaire. La réponse à cette question ne sera pas délivrée dimanche, mais plutôt en avril prochain. Et elle n’est pas si évidente, comme le montre en réalité l’acceptation grandissante, par exemple, du mariage homosexuel et même de l’adoption par l’ensemble de la société. En attendant, la gauche (fracturée sur les questions économiques) a peut-être dégoté là le candidat idéal, qui lui permettra de s’unir sur les sujets de société.
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