"Ecototalitarisme" : les maux de la novlangue politique

France Inter
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La politique est sauf tout une langue morte, mais peut-on faire dire aux mots tout et n’importe quoi ? Au rythme où vont les néologismes, il va falloir réimprimer Le Larousse toutes les semaines ! Dernier concept en date, l’écototalitarisme…

Concept qu'on trouve dans une tribune pro-corrida, signée par 218 élus dans le JDD. Intitulée : « Nos traditions doivent résister à l’écototalitarisme. » C'est-à-dire à tous ceux qui s’en prennent « à la chasse, aux sapins de Noël, au barbecue amical, aux aéroclubs »… Et maintenant aux toreros ! Tout le monde dans le même sac : résistez, ils arrivent, les écolos totalitaires, et ils vont supprimer vos libertés. Tribune tamponnée par un ancien ministre comme Christophe Castaner, et encore relayée lundi soir sur LCI par le sénateur LR Bruno Retailleau.

On monte d’un cran ! Il y a trois semaines, c’est Gérald Darmanin qui parlait « d’écoterrorisme » à propos des opposants aux méga bassines à Sainte-Soline. Lui qui s'est déjà approprié, il y a deux ans, la notion "d’ensauvagement" de la société. Empruntée à l’extrême droite, championne des concepts qui claquent, clashent et jouent sur l’émotion.

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Comme Eric Zemmour, inventeur du« francocide », hashtag bombardé sur les réseaux juste après le meurtre de Lola. Parce que chez Reconquête, on ne veut pas « laisser les minorités faire la loi à travers le langage qu’elles imposent » (je cite Éric Zemmour).

Au risque, selon vous, du grand n’importe quoi ?

Et de la perte de sens. En particulier auprès des jeunes qui n’ont pas assez de recul historique. Un opposant à la corrida devient "écototalitaire"… Est-ce qu’on réalise l'absurdité et l’amalgame indécent que ça représente, par rapport aux régimes passés ou présents qui sont vraiment totalitaires ! Insulte aux victimes du Goulag et des camps nazis !

Pareil pour « francocide », calque inversé de « féminicide ». Et qui désignerait tout acte de violences commis contre un Français dit "de souche". Un mot chasse l’autre, dans une dérive et un relativisme effrayant, que le rachat de Twitter par Elon Musk va amplifier (les modérateurs vont partir, s’ils n’ont pas déjà été virés !).

Tout le monde cultive son jardin linguistique, au service de ses intérêts. A l’autre bout de l’échiquier, Sandrine Rousseau transforme l’anthropocène (l'espèce humaine qui domine la nature) en androcène (pour cibler « andros », le mâle, la domination masculine).

Et que nous disent ces batailles de mots ?

Qu’en l’absence d’idéologies structurantes, de partis forts, chaque émetteur politique se sent autorisé à décrire le monde tel qu’il le voit, à travers ses lunettes ! Et pour se démarquer, être vu, entendu, il faut coller à son adversaire une étiquette définitive. Chacun assigné à sa case. Ce qui est la négation du débat, du vivre ensemble. Les politiques se perdent, nous perdent, dans cette guéguerre sémantique. Et les chercheurs aussi devraient faire attention.

Car personne n’a résolu la question du "post-fascisme", utilisé pour qualifier le gouvernement italien. « Post », c’est commode, ou « néo », ça évite de mettre un signe égal avec Mussolini. Mais quand le premier décret-loi pris par Meloni, c’est de punir de 6 ans de prison tout organisateur de rave party sauvage et au-delà, toute occupation illégale d'un bâtiment... Qu'est-ce que c'est ? Du post ou du pré-fascisme ? Et si les préfixes rendaient aveugles. Prudence face à la novlangue.