La déchéance de nationalité, un fiasco présidentiel

France Inter
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Le Sénat refuse le texte de l’Assemblée, donc la déchéance de nationalité ne sera pas inscrite dans la Constitution. Qui est responsable de ce fiasco ? La droite ou la gauche ?

Le principal responsable c’est celui qui l’a proposé : le président. Toute cette histoire aura été un immense gâchis d’énergie, de temps, une machine à éroder un peu plus l’image de la politique. Le 2ème responsable c’est le 1erministre, pour avoir dramatisé à outrance l’éventualité de l’échec, pour avoir parlé du « serment de Versailles ». Cette mesure allait dans le mur et c’est Manuel Valls qui jouait du klaxon deux tons ! Enfin, mais la faute est plus vénielle, la droite n’a pas été exemplaire. Elle s’est servie de cette affaire dans le cadre de la compétition de la primaire. Il y a eu une bataille Sarkozy/Fillon. C’est François Fillon qui l’a emporté, mais ça ne changera probablement rien au rapport de force au sein de la compétition à droite. Le vrai déchu c’est la parole politique. Le président avait annoncé devant le Congrès, à Versailles une mesure d’union nationale. Mesure qui aura divisé et la droite, et la gauche. Et aura pris, pour rien, des dizaines d’heures au parlement qui croule pourtant sous les projets en retard !

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Cette affaire aura aussi été un tournant pour les relations entre la majorité et le président.

Oui. Si François Hollande a été unanimement salué pour son attitude, ses mots pendant les attentats de 2015, la déchéance aura cassé quelque chose à gauche. La majorité, depuis le virage social libéral n’était déjà pas en très bon état, mais, bon an mal an, en dehors d’une trentaine de frondeurs, les députés socialistes suivaient le président. Devant l’inefficacité de la politique économique menée entre 2012 et 2014, devant le gouffre des déficits et surtout cette satanée courbe du chômage qui refuse de ployer, les parlementaires PS faisaient le gros dos, acceptaient de faire le pari de Macron, même s’ils se faisaient engueuler le dimanche en circonscription. Mais là, leur demander, en plus, un tel revirement sur des valeurs fondatrices, celles de l’unicité de la citoyenneté, alors qu’on est en pleine glorification de la République… c’en était trop. Ils ont donc adopté un texte qui ne correspondait pas à ce qu’avait annoncé au départ François Hollande, en espérant que la droite sénatoriale leur renverrait une autre mouture, inacceptable par eux et que c’en serait fini de cette mauvaise idée. La droite sénatoriale a eu le bon goût de hâter l’enterrement du projet sous le regard satisfait des communistes, des radicaux de gauche et des écologistes. Ce qui est frappant, c’est que l’une des étapes cruciales dans la déchirure entre Nicolas Sarkozy et une partie de sa majorité (les centristes et les libéraux) fut le discours de Grenoble, en 2010, dans lequel le président d’alors proposait aussi l’extension de la déchéance de nationalité. Deux ans plus tard, il lui manquait les voix de la droite modérée pour refaire son retard sur François Hollande. François Hollande brise sa majorité sur le même thème. C’est étonnant…et au fond finalement, assez rassurant que les calculs politiques buttent de façon irrémédiable sur l’essentiel, c’est-à-dire les valeurs profondes de la République.

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