Parler peuple...

France Inter
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Vous revenez sur un propos que N.Sarkozy a tenu hier sur RTL et qui vous paraît symptomatique ! Symptomatique de quoi ?

De la situation un peu désespérée dans laquelle se trouvent les politiques face à leur rejet par les Français: « est-ce qu’on va être capable -dit l’ancien président - de décrire la réalité que vivent les Français ou alors va-t-on décrire une réalité virtuelle ? Voilà le défi essentiel -poursuit-il- de cette campagne ». Cette phrase dit tout de son positionnement et du ton du moment. On pourrait y voir un souci louable. Après tout, il faut bien tenter de renouer le fil avec des Français exaspérés qui ont l’impression d’être méprisés par une élite déconnectée. Nicolas Sarkozy estime, pour éviter que les électeurs les plus angoissés ne se réfugient dans le vote FN, qu’il faut les conforter dans leur vision du monde. Il ne peut pas le faire sur les questions économiques et sociales parce que cela le déporterait vers la gauche (ou le programme social du FN), et le détournerait de beaucoup d’autres électeurs classiques de la droite qui vont plutôt bien. Alors il le fait sur les questions identitaires et de sécurité et adopte, du coup, la perception du monde de la plus déprimée, la plus noire.

Mais cette vision ne reflète que partiellement la réalité.

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Oui, toutes les catégories de la population voient la société par le prisme forcément déformant et parcellaire de ce qu’ils vivent, dans leur environnement immédiat mâtiné de ce que les médias renvoient. Ainsi la population des zones périurbaines, assez près des villes pour en avoir peur, trop éloignée d’elles pour vraiment la connaître, a une image de l’immigration quelque peu déformée, tout comme d’ailleurs ceux qui vivent dans les quartiers villes riches et ethniquement homogènes. N.Sarkozy dit vouloir être le porte-parole du peuple, celui qui comprend son désarroi et sa souffrance. Il relaie donc cette vision de la France envahie, au bord de l’effondrement. Le problème c’est qu’en faisant sienne, cette vision catastrophiste, il participe à sa validation. D’où le débat un peu ésotérique sur Identité heureuse vs Identité malheureuse qui le conduit à faire des propositions-prozac, plus pour calmer des angoisses que pour véritablement régler des problèmes. Ainsi, l’idée de stopper le regroupement familial, constitue une réponse à un ressenti plus qu’à une réalité. Tant pis si le regroupement familial, c’est 22.000 personnes par an. C’est-à-dire rien qui puisse expliquer la situation de la France. Le piège est là. Expliquer qu’interdire le regroupement familial ne résoudrait rien et créerait des situations humaines terribles, c’est être taxé de technocrate hors sol, d’idéaliste irresponsable ou naïf. Accusation moyennement efficace lors d’une élection générale, mais dévastatrice dans le cadre d’un scrutin réservé aux électeurs de droite. La primaire de la droite, sous la pression d’un FN surpuissant, peut s’avérer être une machine infernale à simplification, on le mesure aussi en ce moment à travers des propositions à l’emporte-pièces et absurdes comme envisager de réformer la constitution pour pouvoir interdire le burkini. Sale temps pour la complexité et le discours rationnel.

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