Dans quelques minutes, les professeurs vont accueillir leurs élèves pour la première fois depuis l’assassinat de Samuel Paty et l’attentat de Nice.
Et c’est, pour beaucoup (surtout dans des quartiers dits "difficiles"), un moment d’anxiété, la peur de ne pas savoir trouver les mots, parfois submergés par l’émotion. Une crainte de malentendu ou de blesser leurs élèves. Une crainte aussi d’entamer d’interminables débats contre des arguments irrationnels et manipulateurs tirés des réseaux sociaux.
Chaque établissement doit trouver dans les semaines qui viennent le temps de mettre au point des réponses adaptées. Pendant ces vacances, les professeurs ont, chacun, réfléchi, cogité, souvent échangé leurs réflexions sur Facebook ou des groupes WhatsApp. Beaucoup de professeurs d’histoire habitués, comme Samuel Paty, à traiter de la liberté d’expression et de laïcité, ont prodigué leurs conseils à leurs collègues d’autres matières qui feront cours en ce début de matinée. Des murs collaboratifs, des documents sont partagés. L’horizontalité spontanée du monde enseignant a souvent fonctionné.
Ainsi, par exemple, les profs d’un collège du XIXème arrondissement de Paris, formés à l’éducation morale et civique, ont fait connaître à leurs collègues les travaux de l’association Dessiné-Créer-Liberté établis par SOS-Racisme et Charlie, pour expliquer aux élèves la liberté d’expression. Travaux qui ont fait leurs preuves ces dernières années. Certains chefs d’établissements, en revanche (n’écoutant que leur courage qui ne leur disait rien), ne se sont pas manifestés pendant les vacances... si ce n’est pour transmettre le matériel pédagogique fourni par le ministère et prévoir la logistique compliquée par la COVID. D’autres (beaucoup plus nombreux) ont favorisé ces échanges préparatoires au moment peut-être le plus délicat de leur carrière.
La lettre de Jean Jaurès aux enseignants sera lue dans tous les établissements
Oui, il est aussi prévu d’aller au-delà parce que cette lettre magnifique est adressée non pas aux élèves mais aux professeurs... et surtout, datée de 1888, elle est passablement incompréhensible pour les collégiens d’aujourd’hui, sans une longue explication. Il y aura ce matin (et dans toutes les matières) des questionnements, des mises en causes. Les profs des grandes agglomérations en sont certains, le climat international qui pointe la France sera aussi utilisé par ceux (parents ou élèves) qui estiment que l’islam est attaquée en France. Il faudra encore expliquer cette spécificité française : la laïcité. Expliquer que ce n’est pas une idéologie alternative aux religions, ni d’ailleurs une valeur en soi mais un précieux cadre juridique qui permet la liberté et la protection de toutes les consciences. Ce que vont devoir faire beaucoup d’enseignants dans quelques minutes, à partir de huit heures, seuls face à de futurs citoyens parfois traversés par le sentiment ou la certitude d’être des victimes, n’est pas simple... mais essentiel.
Alors chers profs... tout le monde est avec vous !
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