De "Escrava Isaura" à "Avenida Brasil", ces séries diffusées au Brésil, tous les jours le temps d'une saison, s'exportent partout et portent une vision du monde très différente de celle véhiculée par le soap opera des Etats-Unis ou le feuilleton quotidien européen. Mais pour quel effet miroir ?
Au Brésil, une telenovela ne dure en général pas plus d’une saison de 150 à 200 épisodes même quand la série est un grand succès comme c’était le cas par exemple avec Danse avec moi (Baila Comigo) diffusée en fin d’après-midi sur TF1 au milieu des années 80.
20 ans plus tard, au début des années 2000, en France, la telenovela devient le produit d’appel de nombreuses chaines de la TNT de France Ô à IDF1 avec un des hits brésiliens du début des années 2000 et qui fut, longtemps, l’une des séries brésiliennes les plus vendues dans le monde : Au Cœur du Péché (Da Cor Do Pecado).
Vengeance et lutte des classes
Dans ces deux séries Baila Comigo ou Da Cor Do Pecado, résumer l’histoire relève du parcours du combattant mais notez qu’il est assez intéressant de voir que l’histoire est centrée autour de deux frères jumeaux, l’un élevé dans la haute société, l’autre dans un milieu plus populaire. Un stratagème plutôt malin qui permet à ces séries de rejouer, à chaque feuilleton, une sorte de conte de fée entre réunion de famille, vengeance et… lutte des classes.
Dans les telenovelas, on assiste aussi souvent à la revanche des petits face aux géants un peu comme dans la série à succès qui a marqué le Brésil l’année 2012 : Avenida Brasil, l’histoire d’une jeune femme, Nina, qui se fait embaucher comme cuisinière dans une luxueuse villa. Nina abandonné par sa belle-mère dans une décharge publique à 9 ans compte bien adulte se venger. La série suivie en moyenne par 38 millions de téléspectateurs fut un tel succès que la présidente Dilma Rousseff avait dû avancer la date d’un meeting programmé à l’heure et le jour du tout dernier épisode de la série.
Pour un sociologue brésilien, interviewé par l’AFP lors du final la série, le succès de Avenida Brasil s'explique notamment par le fait que pour la première fois "le centre de gravité d’une telenovela" se trouvait "dans les couches sociales des banlieues […] une classe moyenne émergente, ces familles en ascension qui ont plus d’argent mais pas nécessairement d’éducation".
Les telenovelas, le lieu des premières fois
Souvent en écho avec les attentes et les aspirations du Brésil, ses séries s'arrangent avec les contraintes industrielles du genre, voire la censure politique. En 1976, au temps de la dictature, avec Escrava Isaura, le téléaste Gilberto Braga impose sur le petit écran une esclave comme héroïne dans une série.
Et même si Isaura est incarnée par une comédienne blanche, la série parle de l'esclavage à une époque où le pouvoir refuse pour autant que l’esclave soit montrée à la télévision. Erika Thomas, éminente spécialiste du sujet a beaucoup écrit sur l'aspect politique des telenovelas brésiliennes.
Cette histoire d’amour entre une esclave et son maître dans une plantation de canne à sucre dans le Brésil du XIXe siècle sera vendue dans une centaine de pays avec une audience particulière et un écho considérable en Afrique. Le chercheur Jean-François Werner explique d’ailleurs que l’engouement de Escrava Isaura au Sénégal peut s'interpréter comme une réaction au traumatisme provoqué quelques années plus tôt par une autre série – américaine, cette fois-ci – Racines (Roots) qui avaient ravivé écrit-il dans l’imaginaire collectif "la blessure liée à la mémoire de la traite transatlantique".
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