Début novembre 2016, l'Etat a assigné Carrefour pour "pratiques commerciales abusives". Une action qui met en lumière les méthodes parfois douteuses de la grande distribution.
Les négociations avec la grande distribution peuvent être parfois très musclées lorsqu'il s'agit de discuter des prix avec les fournisseurs. A partir du 1er novembre, et jusqu’au 28 février, les tarifs 2017 des produits en linéaire se jouent dans les boxes de négociation des centrales d'achat. Ces boxes restent des lieux secrets. En général, il ne sort rien de ces quelques m2 de bureaux situés dans les centrales d’achat. Une négociatrice de PME, que l'on appellera Mélanie pour préserver son anonymat, a accepté de nous raconter l’ambiance surprenante qui y règne :
La première fois que j'y suis entrée, j'ai cru que c'était un show !
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"J’ai cru qu’il y avait une caméra cachée. Chacun joue un rôle, dans les discours, les postures, les débordements en termes de comportements… Par exemple, faire patienter pendant des heures dans un box, être reçu par plusieurs personnes avec toute la hiérarchie sans être prévenu alors qu'on devait être reçu par un seul acheteur, donc il y a une pression supplémentaire. On peut être en train de signer un contrat et quelqu'un débarque pour déchirer le contrat en disant : j'annule le contrat, je ne suis pas d'accord avec l'accord obtenu, vous pouvez faire plus".
Ces méthodes, qui relèvent de l’intimidation sont régulièrement dénoncées par les fournisseurs de la grande distribution. Certaines enseignes ont alors décidé cette année d'afficher un code de bonne conduite dans les boxes de négociations ( lire la charte de la Fédération du Commerce et de la Distribution). Mais pour Olivier Lauriol, un ancien acheteur devenu consultant aujourd'hui, l'objectif est toujours de "faire craquer" les fournisseurs :
On est dans un jeu de négociations poussé à l'extrême où il n'y a pas forcément d'interdit.
"D'une façon générale, il s’agit de pousser le directeur commercial, en le mettant sous pression psychologique et individuelle, à céder et renoncer à ses contreparties."
Et si ces méthodes ne suffisent pas, les grandes surfaces n'hésitent pas à retirer certains produits des rayons pour faire pression sur leurs fabricants. Ils peuvent aussi exercer une forme de racket sur les industriels, en leur réclamant de l'argent sans contrepartie. Bercy soupçonne Carrefour d’avoir eu recours à ce genre de méthode l'an dernier.
Du côté des distributeurs, si on reconnaît que les dérapages peuvent exister, on affirme qu’ils restent marginaux. Mais ce n'est pas l'avis des industriels regroupés au sein de l' ILEC, l'association qui les représente, et de son délégué général, Richard Panquiault :
"On considère que les pratiques illicites ne sont pas marginales, elles sont de plus en plus structurantes dans les relations industrie/commerce. Il ne faut pas mettre toutes les enseignes dans le même panier, certaines sont plus vertueuses que d'autres, mais depuis plusieurs années, on assiste à une prolifération des pratiques illicites, pendant et hors les périodes de négociations."
Le pire dans cette histoire, c'est que la baisse des prix, réelle depuis 3 ou 4 ans selon les produits, fait mal aux industriels, mais que les consommateurs ne la sentent quasiment pas. Un spécialiste de la consommation, Frédéric Valette, du cabinet Kantar Worldpanel, explique :
"Quand on achète un produit de grande consommation qui a une valeur faciale de 2 euros, on parle de quelques centimes. C'est donc très peu perçu chez les clients. On a estimé l’an dernier que pour un consommateur moyen l'économie annuelle est de l'ordre de 25 euros."
Mais il n’y a pas que les industriels qui souffrent. Avec des prix aussi faibles, même les distributeurs doivent rogner sur leurs marges qui sont inférieures à 1% aujourd'hui. Ils doivent donc trouver d'autres sources de revenus, comme Leclerc : "en pratiquant des prix bas, explique le journaliste Bertrand Gobin, Leclerc déplace les foules vers ces magasins, ça profite à l'hypermarché, mais ça permet également au propriétaire du magasin de générer du trafic, pour la zone commerciale se trouvant autour de son hypermarché, et il la loue à des enseignes spécialisées, de magasins de sport, de bricolage. Ces revenus immobiliers contribuent considérablement à la fortune des propriétaires de magasins."
Les revenus des galeries marchandes ont, malgré tout, leurs limites. Au final, l’engrenage de la course aux prix bas appauvrit tout le monde. Même le consommateur, qui est aussi souvent un salarié…
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