Enquête sur l'Islam de France

France Inter
Publicité

Secrets d'info enquête sur le financement des mosquées.

Devant la Grande Mosquée de Paris
Devant la Grande Mosquée de Paris
© © Godong/Robert Harding World Imagery/Corbis

Il y a environ 2300 lieux de culte musulmans en France , mais le Phare de l’Islam dans notre pays est la Grande Mosquée de Paris .

Aussiétonnant que cela paraisse, sonrecteur – c’est-à-dire son responsable -Dalil Boubakeur , est directement nommé par Alger, et ce depuis1956.

Publicité

S’il se révélaitstratégique pourle pouvoir algérien dans les années 70 de garder un œil sur les immigrés venus s'installer en France , le contrôle des immigrés change de nature par la suite.

Alger, dans les années 90 , est aux prises avec des attentats islamistes . Le contrôle des mosquées française s prend alors un aspect sécuritaire.

Alger et la Grande Mosquée : comment fonctionne ce « contrôle » à distance ?

Le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur
Le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur
© MaxPPP/IP3/Christophe Morin

Lebudget de la Grande Mosquée - environ 10 millions d’euros - est voté à Alger, par les députés de l’assemblée nationale populaire algérienne.

De plus, Alger détache et répartit sur le territoire français120 Imams qu’il rémunère 2400 euros par mois, avec logement de fonction .

Enfin, il existe desliens étroits entre le recteur de la Grande Mosquée de paris, Dalil Boubakeur, et le premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal.

Tandis que beaucoup perçoivent la Grande Mosquée comme une annexe de l’ambassade d’Algérie ,Dalil Boubakeur , lui, minimise ce lien , et se défend de toute allégeance envers le pouvoir algérien.

Le cas du Maroc

Le Maroc est lui aussitrès présent dans les mosquées françaises et l’on retrouve le même type de configuration.

Le Maroc finance en effet lefonctionnement des Mosquées de Saint Etienne et deStrasbourg à hauteur d**’un million et demi d’euros par an** et il envoie en France30 imams détachés.

L’influence de Rabah ne s’arrête pas là.Les lieux de culte qu’il finance - et même ceux qui sont pris en charge par la communauté française - sont d'avantage que des lieux de prière puisqu'ils servent parfois de bureaux de vote.

En Février dernier, à Armentières , dans le Nord,le président de la Mosquée a licencié son Imam, parce qu’il appartenait àune fédération marocaine différente de la sienne. Lorsque l’Imam s’est révolté, c'est le consul du Maroc qui a été appelé pourtrancher le litige.

Les interférences politiques ne s’arrêtent pas là

Lors des élections destinées àchoisir les représentants des mosquées au CFCM - l’organisme qui représente l’Islam en France auprès despouvoirs publics - ce ne sont ni les fidèles, ni les Imans, ni les associations de français musulmans qui décident de la composition deslistes qui sont soumises au vote . Selon l’Imam Abdelali Mamoun , c’est dansles consulats que s’organise l’islam de France , là où est rédigéela quasi-totalité des listes présentées ensuite aux élections .

Notre Etat, laïque , peut-il accepter que des pays étrangers se mêlent à ce point sur son propre territoire d’affaires religieuses ?

Plus problématique : le Maroc et l'Algérie importent aussi en France les tensions diplomatiques qui les opposent au Magheb

Carte Sahara Occidental
Carte Sahara Occidental
© Radio France

Pour le comprendre, il faut refaire un peu d**’histoire.**

Les relations diplomatiques entre les deux pays ont commencé à se tendre autour de la question du Sahara Occidental .

Elles se sont ensuite aggravées en 1994, après l’attentat de Marakech. Depuis, rien ne bouge.

En attendant une éventuelle résolution de ce conflit , algériens et marocains continuent de s’opposer au sein du Conseil Français du Culte Musulman.

D’autres pays investissent dans les mosquées en France

  • Commençons par la Turquie.

C’est Ankara qui envoie le plus d’Imams détachés . C’est en effet le pays dontla communauté en France est la moins importante, doncla moins à même de se prendre en charge .

On compte 150 Imams turques au total, dont quasiment aucun ne parle le français. Ils se voient eux aussi allouer par leur pays d’origine un logement de fonction, avec une indemnité de 1600 euros par mois.

  • Il y a également les pays du Golfe.

Le Sultan d’Oman a versé près de deux millions d’euros pour la construction dela Mosquée de Roissy en Brie, commune où lui-même possède une luxueuse propriété.

  • Il y a aussi l’Arabie saoudite.

l'Arabie saoudite a financé lesmosquées de Lyon et d’Evry. Mais contrairement aux pays du Maghreb, elle serait très peu interventionniste .Le pays souffre d’un problème d’image. Montrée du doigt pour avoir abrité la famille de Ben Laden, il fait depuis très attention à ne pas apparaître en France comme le défenseur d’un Islam rigoriste.

Des pratiques qui posent questions

Détail de l'affiche de l'exposition « Hajj, le pèlerinage à La Mecque » à l'Institut du Monde Arabe (IMA).
Détail de l'affiche de l'exposition « Hajj, le pèlerinage à La Mecque » à l'Institut du Monde Arabe (IMA).
© radio-france
  • Le pélerinage à la Mecque

Le Hajj est le pélerinage à la Mecque que tout bon musulman se doit de faire une fois dans sa vie.

Pour éviter une trop grande affluence , l’Arabie Saoudite limite le nombre de visas . Elle en délivre des quotas aux pays étrangers et leur laisse le soin dechoisir les fidèles qui pourront venir à la Mecque.

Aucun problème ne se pose dansles pays musulmans . Ce sont les gouvernements qui gèrent ces visas et qui les redistribuent àleurs administrés .

Mais en France, pays laïque, l’Etat ne peut pas faire ce travail. Ces visas sont donc donnés à des agences qui en tirent profit. Lesagences françaises se battent pour obtenir le plus de visas possible, quitte à graisser la patte des fonctionnaires du ministère du Hajj à Ryad et à vendre les visas très chers, autour de1500 euros.

  • Le prêche du vendredi à la Grande Mosquée de Paris

Le prêche du vendredi à la Grande Mosquée est dit enarabe . De plus en plus dejeunes français musulmans qui ne parlent pas l’arabe vivent mal le fait que le jour de la prière du vendredi, on ne parle pas le français.

La question de la langue du prêche est l**’enjeu** d’un conflit de fond mais aussi de générations . Lequel sépare des jeunes musulmans nés en France etune élite vieillissante dont la matrice reste effectivement à Alger ou àRabat.

Une sitiation très complexe

Bernard Cazeneuve
Bernard Cazeneuve
© MaxPPP/Photo PQR/Voix du Nord

On peut repenser l’organisation de la représentation de l’Islam en France . C’est là-dessus que travaille Bernard Cazeneuve qui veut créer une nouvelle instance intermédiaire, plus élargie , entre le CFCM et les pouvoirs publics. Ceci lui permettrait, sans le supprimer de « court-circuiter » le CFCM.

Pour ce qui est dufinancement des mosquées , en revanche, la situation est beaucoup plus compliquée .

Soit l’Etat y participe , et c’est le principe de laïcité , un des piliers de notre république, qui estremis en cause.

Soit l’Etat n’y prend pas part , et il faut bien trouver des financements , ce qui veut dire accepter que des pays tiers interviennent.

Au-delà de la démagogie et descalculs politiciens , leproblème est donc très complexe , et quasiment insoluble.

L'équipe