Pédophilie dans l’Église : la conspiration du silence

Monseigneur Philippe Barbarin dans la basilique Notre-Dame de Fourvière
Monseigneur Philippe Barbarin dans la basilique Notre-Dame de Fourvière ©AFP - Nicolas Liponne / NurPhoto
Monseigneur Philippe Barbarin dans la basilique Notre-Dame de Fourvière ©AFP - Nicolas Liponne / NurPhoto
Monseigneur Philippe Barbarin dans la basilique Notre-Dame de Fourvière ©AFP - Nicolas Liponne / NurPhoto
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Le procès du père Preynat s’est ouvert ce mardi 14 janvier. Poursuivi pour atteintes sexuelles sur dix mineurs, ce proche du cardinal Barbarin a reconnu sa culpabilité : "J’ai entendu la souffrance de ces personnes pour lesquelles je suis coupable". Il risque 10 ans de prison.

Mise à jour le 14 janvier 2020 : En 2016, notre enquête a dévoilé les fils de l'affaire Preynat, qui par la suite a secoué l’Église. L'une des victimes du père Preynat, Alexandre Hezez, catholique pratiquant, est le premier a avoir déposé plainte en 2015. Il revient sur les agressions sexuelles qu’il a subies. Il revient aussi sur la stratégie du cardinal Barbarin, proche du mis en cause pour tenter d’étouffer l’affaire qui deviendra aussi "l’affaire Barbarin".

► Une enquête de Laetitia Cherel,  cellule investigation de Radio France

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Une affaire lyonnaise

Il s’appelle Alexandre Dussot , il a 42 ans, et il est issu de la bourgeoisie catholique de Sainte-Foy-lès-Lyon. Entre 9 et 12 ans, il a été agressé sexuellement par lepère Preynat , prêtre de cette paroisse et fondateur du groupe de Scouts Saint Luc. Avec deux autres anciens scouts, il a créé une association de victimes La Parole libérée. Les faits sont prescrits mais Alexandre s’en souvient comme si c’était hier.

Alexandre Dussot, victime présumée du père Preynat
Alexandre Dussot, victime présumée du père Preynat
© Radio France

Les samedis après-midis quand on était en réunion de scouts, il m’amenait dans un local photo à côté de l’église. Il se serrait contre moi et il passait sa main sous mon short et sous ma chemise jusqu’à se mettre à l’intérieur de mon caleçon pour prendre mon sexe dans ses mains, il se frottait, et il fallait aussi le caresser, poser sa main sur son sexe (…). Je me suis caché pendant deux jours avant d’arriver chez moi. Je venais d’avoir 12 ans et j’ai dit à mes parents que je ne voulais plus du tout retourner aux scouts.

Alexandre arrête les scouts, ses parents ne cherchent pas à en savoir plus et ensuite… plus rien, personne ne parle. Alexandre grandit, fait de brillantes études, fonde une famille, et travaille dans la finance. Il se marie à l’église et a cinq enfants qu’il scolarise dans l’enseignement catholique. A l’époque, il pense que le père Preynat est mort.

Mais tout resurgit en 2014, quand il découvre que le prêtre est vivant, et qu’il fait le catéchisme à des enfants. Le sang d’Alexandre ne fait qu’un tour. Sans hésiter, il alerte le cardinal Barbarin par mail, lui raconte en détail ce qu’il a subi et lui demande d’agir au plus vite pour éviter qu’il y ait d’autres victimes. Le cardinal lui répond aussitôt.

Le cardinal Barbarin écrit : "terrible témoignage, on comprend qu’il ait fallu autant de temps pour pouvoir le mettre par écrit". Il me propose de rencontrer Régine Maire (qui) me propose une rencontre avec le père Preynat pour une démarche "de guérison et de pardon". (Elle) me dit qu’elle l’a déjà fait avec d’autres prêtres dans certaines histoires de violences sexuelles.

Mgr Barbarin
Mgr Barbarin
© MaxPPP - Mgr Barbarin © MaxPPP / Rachel Barranco, 2016

Alexandre accepte de rencontrer son agresseur le père Preynat. Cette singulière rencontre a lieu en septembre 2014, Régine Maire y assiste. Alexandre Dussot, trente ans après avoir été violenté, se retrouve face à son agresseur.

C’est une révélation pour moi parce que je lui expose ce qu’il m’avait fait. Il dit oui oui, bien sûr, ça s’est passé. Je comprends que je n’étais pas un cas isolé et qu’il avait agressé sexuellement pendant 15 à 20 ans des enfants. Il le reconnaît devant moi et Régine Maire qui écoute sans rien dire.

Alexandre est totalement sous le choc... et il l’est encore plus quand, le lendemain de cette rencontre, il reçoit un mail de Régine Maire.

J’espère que cette rencontre a eu pour vous un goût de paix et de guérison d’un passé douloureux qui laissera toujours une cicatrice, certes, mais qui, avec la grâce, se ferme... si nous ne la grattons pas trop.

Le diocèse invite donc Alexandre à ne pas aller plus loin, c’est en tous cas comme cela qu’il reçoit ce message, mais ça ne le satisfait nullement. Alexandre a la hantise que le père Preynat demeure au contact régulier d’enfants, il veut donc avoir la certitude que ce prêtre soit mis à l’écart. Il demande alors audience au cardinal Barbarin lui-même, et finit par obtenir un rendez-vous deux mois plus tard, le 23 novembre.

On se rencontre et je lui redonne mon témoignage, je lui demande « et maintenant qu’est-ce que vous faites ? », il me dit qu’il va agir, qu’il n’était pas au courant du passé du Père Preynat.

Alexandre est donc soulagé, il a le sentiment d’avoir rempli sa mission, sauf que cela ne va pas exactement se passer comme il l’espérait. Noël passe, puis février, puis rien du tout. Le père Preynat demeure en poste, alors Alexandre insiste, menace de saisir le Vatican et la justice.

Le cardinal finit par lui envoyer un mail le 2 mars 2015.

Au récent consistoire, nous avons eu un exposé très fort du cardinal O’Malley de Boston, c’est lui que le Pape a chargé du dossier de la pédophilie. La ligne est claire. Donc, je prends ici les mesures qui nous sont suggérées. Je vous tiendrai au courant.

Quinze jours plus tard le cardinal Barbarin envoie un nouveau message à Alexandre :

Comme je vous l’avais annoncé, j’ai appelé le père Preynat. Il est venu me voir et je lui ai dit que je lui retirais la charge de sa paroisse et que je ne lui en donnerai plus d’autre.

On comprend qu’Alexandre a gagné son combat, mais un mois plus tard, le père Preynat est toujours dans son diocèse. Alexandre en a assez, il met donc ses menaces à exécution : il écrit au Pape et porte plainte en juin 2015 contre le cardinal pour non dénonciation d’agressions sexuelles sur mineur et mise en danger de la vie d’autrui.

Vatican, place St Pierre, Rome
Vatican, place St Pierre, Rome
© Radio France - Julie Bernard

Monseigneur Barbarin appelle Alexandre et lui laisse un message sur son répondeur téléphonique.

Le cardinal, sur un ton assez désinvolte, fait référence à des consignes qu’il a reçues de Rome suite au courrier qu’Alexandre avait fait parvenir au pape.

J’ai reçu une lettre de Rome me demandant de reprendre contact avec vous et de vous faire savoir exactement ce que j’avais fait à propos du père Preynat, donc je vous le dis : j’ai interdit au Père Bernard Preynat tout exercice du ministère pastoral et toute activité comportant des contacts avec des mineurs, jusqu’à ce que Rome statue sur sa situation.

Le cardinal Barbarin agit, mais il agit à la demande expresse de Rome. En septembre 2015, le père Preynat sera finalement suspendu de ses fonctions.

Quel est le dispositif mis en place à Lyon pour à la fois entendre les victimes, mais en même temps essayer de bloquer d’éventuelles répercussions ? Alexandre a vraiment l’impression d’avoir été pris dans un système très bien huilé, un dispositif très bien organisé dont le but était de l’écouter pour mieux le décourager.

J’ai eu l’impression d’être rentré dans un process à chaque rencontre. Après l’alerte par écrit, vous avez une lettre avec beaucoup de compassion du cardinal, si la personne insiste comme j’ai fait, on peut avoir une demande directe de pardon du prêtre incriminé. Et finalement, jusqu’à mon dépôt de plainte et ma lettre auprès de Rome, rien ne s’est passé, j’ai dû insister, insister, insister pour essayer d’avoir des réponses.

Laetitia Cherel a également rencontré une jeune femme, qui est la compagne d’une autre victime du père Preynat, mais qui surtout est psychologue et victimologue.

Son travail consiste à prendre en charge les victimes de viol et de violences conjugales, leur écoute et leur accompagnement.

Quand elle a pris connaissance de ces séances de pardon et réconciliation organisées par le diocèse de Lyon, elle a eu du mal à y croire :

Le fait qu'on mette en contact une victime et son agresseur, qu'on les fasse prier main dans la main, je trouve ça d'une extrême violence. Après ça, comment trouver l'énergie, les ressources, pour pouvoir porter plainte ? Cela me semble extrêmement compliqué.

Régine Maire n’a pas rencontré que Alexandre Dussot, elle a aussi accompagné Bertrand Virieux, agressé lui aussi par le père Preynat, quand il était jeune scout. Bertrand Virieux garde un souvenir assez désagréable de son entretien avec elle.

Le 30 décembre, chez elle, j'ai eu un entretien avec elle où elle m'a montré de la compassion, de la compréhension mais ça n'a pas mené à grand chose parce qu'elle est restée figée sur le fait que ça appartenait à une époque, une mentalité. J'ai eu l'impression d'être anesthésié.

Le cardinal Barbarin  a décliné notre proposition d’interview mais il soutient qu’il n’a en rien voulu étouffer le scandale . Il précise qu’il a saisi en décembre 2014 le Vatican du cas du père Preynat. Et qu’en février 2015, le Vatican lui a demandé de suspendre le prêtre à compter de septembre 2015 .

Quant à Régine Maire, elle a également refusé de nous rencontrer. Il y a quelques semaines, toutefois, elle s’était exprimée brièvement au micro de Thibault Lefèvre de France Inter. Elle justifiait alors son attitude… Elle venait d’être visée comme le cardinal par une plainte pour non-dénonciation.

Je me suis plus positionnée en situation d'écoute et d'accueil qu'en situation judiciaire, peut-être à tort... J'attends que la plainte sorte, j'assumerais s'il faut assumer.

Un grand établissement jésuite parisien éclaboussé

Cette semaine Laetitia Cherel a révélé sur l’antenne de France Inter comment Les Jésuites ont été rattrapés à leur tour par des accusations semblables.

Il s'appelle Jean-Pierre Martin-Vallas , aujourd'hui il a 70 ans, il en avait 8 en 1953, quand il était en primaire à Saint-Louis-Gonzague, une école de garçons. Lors d'une colonie de vacances organisée par l'établissement, le père L - l'un des responsables jésuites - s'est livré à des attouchements sur lui.

Une nuit, il est rentré dans mon lit, il a commencé à me caresser le torse en passant ses mains sous ma veste de pyjama, et à un moment, il a passé sa main à l'intérieur de ma culotte de pyjama, sur les fesses. J'ai réagi, il est sorti du lit et je n'en ai plus entendu parler.

Ce n'est qu'à 65 ans que Jean-Pierre Martin-Vallas décide de sortir du silence. Il a attendu la mort de ses parents, qui appréciaient le père L, pensant qu'ils ne l'auraient pas cru. En 2010, il contacte 1000 anciens élèves et reçoit 10 témoignages. Certains sont édifiants comme celui de Pierre Guy :

Le prêtre en question était un ancien cheminot, il avait la particularité d'avoir un train électrique dans son bureau. C'était un énorme espace. Moi j'ai jamais vu, j'ai jamais eu le droit parce qu'il fallait être initié, c'était donné à une petite élite de garçons. On ne savait pas sur quels critières ils étaient choisis. Il y avait un grand mystère et c'est des années après que j'ai compris qu'il se passait surement des relations plus intimes.

Un ancien éleve qui souhaite rester anonyme, un monsieur âgé de 60 ans, se rappelle ce qui se déroulait quand le père L le confessait**.**

Quand vous êtes un petit enfant et que vous allez vous confesser vos petits péchés, d'avoir menti à maman, d'avoir piqué des bonbons, et qu'à l'issu de cette confession on vous embrasse sur la bouche, de la part d'un homme d'un certain âge, c'est vraiment quelque chose de choquant. J'ai dû avoir un geste de recul et le père a marqué un profond atterrement, on voyait bien qu'il était conscient que ce qu'il avait fait était affreux.

Un an après cette confession, la victime a été agréssé par un autre membre du collège, un surveillant qui lui a fait subir une fellation et qui a tenté de le violer. Une partie de ces témoignages Jean-Pierre Martin-Vallas les transmet au père Supérieur Jésuites de l'établissement en 2010 et il réclame une enquête interne. L'affaire remonte jusqu'au Provincial, c'est-à-dire, le responsable des Jésuites de France, qui adresse à Jean-Pierre Martin-Vallas une fin de non-recevoir**.**

Aujourd'hui ce qu'il nous rassemble ce sont des faits qui ont été commis par un jésuite et révélé par Monsieur Martin-Vallas alors qu'il avait 8 ans. Des attouchements sexuels et des faits ont révélé qu'il y avait d'autres victimes.

Et comme dans l’affaire de Lyon, cette victime a été obligée d’en appeler au pape pour que les choses avancent. Le résultat est la création d'un groupe d'accueil en 2014, mais selon Jean-Pierre Martin-Vallas , il n'a jamais vraiment fonctionné.

Jean-Pierre Martin-Vallas
Jean-Pierre Martin-Vallas
© Radio France - Laetitia Saavedra

C'est un groupe qui est chargé d'inviter les victimes qui se sont plaintes à prendre du thé avec les jésuites, à écouter des paroles miélleuses et onctueuses, et à repartir ayant refermé la boîte de Pandore, avec destination de ne plus jamais en parler.

A Lyon, comme chez les Jésuites, c’est la même stratégie de l’étouffement qui est déployée, et tout change quand on révèle l’histoire au grand public, ce que nous avons fait mardi dernier sur France Inter. Quelques heures plus tard en urgence, les Jésuites de France organisent une conférence de presse. Leur responsable, le père Grenet commence par confirmer la gravite des faits.

Ces évènements sont graves, et je commence par exprimer les regrets profonds de la compagnie pour tout actes de pédophilie qui ont pu se présenter, qui sont à ma connaissance et qu'ils ne le sont pas.

Les journalistes interpellent le père Grenet  sur l’absence d’enquête interne menée au sein des Jésuites, et le provincial des Jésuites fait son mea culpa.

Le Provincial, Jean-Yves Grenet
Le Provincial, Jean-Yves Grenet
© Radio France

Je regrette ce choix qui pour moi est le fruit d'un malaise devant l'ancienneté des faits et le décès de l'auteur. Je prends davantage conscience qu'une invitation claire de ma part pourrait aider des victimes à accéder à la parole.

Le temps de réaction de ces Jésuites aura été pour le moins long, très long. Est-ce que l’église a des procédures clairement établies pour sanctionner les prêtres pédophiles ? Lepère de Boccart , le responsable du tribunal ecclésiastique de Lyon propose une réponse qui traduit une forme d’ambiguïté**.**

Si c'est une relation ambigüe qui n'est pas allée jusqu'à un acte sexuel qui a géné les personnes... ça peut être tout simplement d'aller 6 mois dans un monastère réfléchir au mal qu'il a pu faire.

Une ambigüité générale das l'Eglise catholique

C'est un peu comme si certains responsables religieux n’avaient pas encore pris conscience de la gravité de la pédophilie. C'est le même sentiment lorsqu'on écoute cet extrait d’une interview radio de Monseigneur Lalanne, chargé justement du traitement de la pédophilie au sein de la conférence des évêques de France. Ce qu’il dit au micro de RCF, la radio chrétienne francophone est stupéfiant.

La pédophilie c'est un mal, est-ce que c'est de l'ordre du péché, ça je ne saurais pas dire parce que c'est différent pour chaque personne. La première chose à faire c'est de protéger les victimes ou les éventuelles victimes.

Alors que ces propos ne cessent d’étonner, Christian Delorme n'en est pas surpris. A une époque, on le surnommait le "curé des minguettes". C’est un prêtre progressiste, qui ne mache pas ses mots.

Christian Delorme
Christian Delorme
© Radio France - Laetitia Saavedra

On va être impitoyable pour les divorcés remariés, pour les couples homosexuels mais lorsqu'il s'agitd'un prêtre qui a commis des agressions sexuelles, et des crimes graves lorsqu'il s'agit d'enfants, on est beaucoup plus indulgent. Il y a quelque chose à revoir.

Autre explication possible à l’aveuglement de l’église de France face à la pédophilie : une raison beaucoup plus terre à terre, celle du journaliste Philippe Clanché , spécialiste des religions.

Philippe Clanché
Philippe Clanché
© Radio France - Laetitia Saavedra

Historiquement, il y a eu un gros problème de réaction de l'institution par rapport à la pédophilie sous le pontificat de Jean-Paul II. Il y avait un prêtre mexicain dont tout le monde savait que c'était un pervers qui a fait des violences sexuelles sur ses enfants et Jean-Paul II ne voulait pas l'entendre parce que ce prêtre rapportait énormément de prêtres dans la compagnie qu'il avait formé.

Cet argument que l'on a presque du mal à croire, il s’agit pourtant d’une réalité. Les prêtres sont de plus en plus vieux et de moins en moins nombreux.. Cette semaine, un évêque a reconnu que cette raison l’avait conduit à hésiter à écarter un père de son diocèse, il s'agit de l'évèque d'Orléans, Monseigneur Blaquart.

J'ai sous-estimé les risques potentiels liés à cette affectation même si les catéchistes trouvaient qu'il était trop distant avec les enfants. Aujourd'hui ma décision c'est de prendre toutes mesures pour que ces choses-là ne se reproduisent pas.

Prendre toutes les mesures c’est bien ce à quoi s’est engagée la conférence des évêques de France il y a quelques jours, en mettant en place dans chaque diocèse une cellule d’écoute  pour recueillir la parole des victimes.

Monseigneur Georges Pontier entouré par la presse le 12 avril 2016( conférence des évêques de France)
Monseigneur Georges Pontier entouré par la presse le 12 avril 2016( conférence des évêques de France)
© RF - Thomas Jost

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