Insatiable Paul Veyne : "Dans l'éternité, je ne m'ennuierai jamais"

Portrait de l'historien et écrivain Paul Veyne auteur de "Une insolite curiosité" (Robert Laffont).
Portrait de l'historien et écrivain Paul Veyne auteur de "Une insolite curiosité" (Robert Laffont). ©AFP - Joël Saget
Portrait de l'historien et écrivain Paul Veyne auteur de "Une insolite curiosité" (Robert Laffont). ©AFP - Joël Saget
Portrait de l'historien et écrivain Paul Veyne auteur de "Une insolite curiosité" (Robert Laffont). ©AFP - Joël Saget
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L'historien Paul Veyne est décédé à l’âge de 92 ans. Il a fervemment participé à faire connaître au grand public les civilisations gréco-romaines. "L'heure bleue" vous propose de replonger dans les réflexions d'un des plus grands connaisseurs de la période de l'Antiquité.

Avec
  • Paul Veyne Historien, spécialiste de l'Antiquité romaine

"Nul ne s'inquiète de bien vivre ; on cherche à vivre longtemps ; tandis que bien vivre est loisible à tous, et vivre longtemps, à personne".

- Sénèque dans ses Lettres à Lucilius.

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Pas de doute que Paul Veyne, grand historien, biographe du stoïcien, a réussi à prouver que le souci de la vie bonne était conciliable avec celui d'une vie longue. Ce fin connaisseur des philosophies antiques et de l'histoire de l'Empire romain, n'a jamais de cesser de fixer l'admiration de ses lecteurs, tant son génie résidait toujours dans sa grande modestie, qui rendait ses interventions d'autant plus passionnantes.

Cœur provençal et âme d'historien

Il est décédé dans son petit village de Provence, à Bédoin, dans le Vaucluse, au pied du mont Ventoux qu'il n'a jamais vraiment quitté, tant il est toujours resté provincial dans l'âme. C'est là-bas qu'il est né, le 13 juin 1930, à Aix-en-Provence plus précisément, au sein d’une famille liée à la vigne, et dont les grands-parents étaient viticulteurs.

Un cœur provincial mais un esprit dont les valeurs ne rejoignent pas celles d'une famille qui lui refusent cette passion qu'il cultive déjà très jeunes pour l'histoire. Enfant, il ramasse un morceau d'amphore antique, d'époque, qui a suscité en lui le point de départ de sa vocation. De même que la lecture de l'Odyssée d'Homère, qui lui a conféré le sens de l'aventure, et devait l'orienter vers le Collège de France. Mais, le fossé se creuse entre ses parents et lui au point d'expliquer, au micro de Laure Adler, qu'il se considérait plus comme "le fils de l'école que de ses parents".

Alors il s'inscrit, de sa propre initiative, au lycée Henri IV de Paris. C'est là-bas qu'il scelle au passage le grand amour de sa vie. Pour autant, ses attaches à la province l'ont toujours conduit à entretenir un certain sens du recul, la Provence a été comme une bulle dans laquelle il se réfugiait très souvent, comme pour se fermer au monde extérieur, s'arracher à l'actualité et se focaliser ce qui comptait le plus à ses yeux : la réflexion historique.

Un historien qui façonne l'histoire

Paul Veyne a fait ses études à l'École normale supérieure et à l’École pratique des hautes études où il croise déjà d'autres éminences, comme les historiens Jacques Le Goff ou encore Michel Foucault qui était, pour lui, "comme un grand frère, un grand copain" qu'il admirait énormément. Il devient d'abord agrégé de grammaire en 1955, annonçant d'ores et déjà tout l'éclectisme intellectuel dont l'historien fera preuve durant toute sa vie.

Le doctorant en histoire illustre déjà toutes les qualités vouées à en faire l'un de nos plus grands historiens. Alors qu'il soutient sa thèse de doctorat, Paul Veyne a déjà honoré son ouvrage le plus célèbre, sinon le plus important de sa bibliographie savante : "Comment on écrit l'histoire" publié en 1971 et qui figure encore aujourd'hui comme l'une des grandes références en matières d'essais d'épistémologie historique. Il affirme sa propre manière d'envisager l'historien sinon le chercheur en histoire qui doit être un romancier du vrai. Le Normalien entre au Collège de France en 1975 et détient la Chaire d’histoire de Rome grâce à l'appui de Raymond Aron.

Il devient véritablement le fer de lance d'une nouvelle vision de l'Antiquité, sinon de l'histoire en général. L'historien était selon lui "un sauveur du temps, l'historien doit sauver le passé, sauver l'englouti, sauver tous les textes de l'Antiquité. L'histoire est, avec la poésie, la plus haute expression de notre humanité". Ce grand maître de l'histoire a révolutionné l'art de faire de l'histoire, nous a permis de comprendre ce qu'était véritablement l'histoire, et ce pouvait vouloir dire : "faire de histoire". Bien sûr, il fait référence dans l'histoire antique, il devient spécialiste de la question de l'amour chez les Grecs et chez les Romains, de l'élégie érotique, de l'importance du corps et de la philosophie globale autour du corps qui domine pour beaucoup les mœurs de la civilisation gréco-romaine.

"Je crois en l'avenir, je crois au progrès"

Si sa réflexion et ses ouvrages ont autant passionné, c'est aussi parce qu'il a toujours su communiquer et transmettre avec un optimisme naturel, une croyance inébranlable dans le présent et dans un monde qui irait de mieux en mieux. Comme le montrent une nouvelle fois les derniers mots de son entretien avec Laure Adler : 
"Je ne crois pas que l'avenir soit si dramatique. Je crois en l'avenir. Je suis un acharné du progrès. L'Humanité ne cesse de progresser à l'intelligence. Ce que nous inventons et nous ne cessons d'inventer est toujours mieux que ce qu'ont fait les autres. Je crois au progrès. Je suis optimiste sur le sort de l'humanité".

En 2020, il publiait " Une insolite curiosité" (Robert Laffont) où il faisait dialoguer les souvenirs avec les articles de recherche sur l'empire gréco-romain, l'élégie érotique ou les jeux de cirques. En savant complet, spécialiste tant de littérature que de philosophie et d'histoire, il entremêle tous les genres dans cet ouvrage inédit. Il condensait ainsi, dans une somme aux mille pages, une vie de passion pour le savoir. L'occasion de comprendre le parcours de cet historien hors du commun, et à l'existence très modeste, qui n'a jamais cessé de se ressentir jusqu'au plus profond de ses propres réflexions. L'occasion de revenir sur sa carrière prolifique, faite de rencontres intellectuelles stimulantes et d'engagement pour un renouvellement de la recherche historique.

Archives

  • Archive Ina de 1965 : René Char lit son poème « Qu'il vive »
  • Archive Ina de 1977 : Michel Foucault à propos de l'humanité

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