Noémie Lvovsky : "Je ne saurai pas parler de ma vie sans la fiction"

La réalisatrice, scénariste et actrice Noémie Lvovsky
La réalisatrice, scénariste et actrice Noémie Lvovsky ©Getty - Sylvain Lefevre/WireImage
La réalisatrice, scénariste et actrice Noémie Lvovsky ©Getty - Sylvain Lefevre/WireImage
La réalisatrice, scénariste et actrice Noémie Lvovsky ©Getty - Sylvain Lefevre/WireImage
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Origines juives et russes, une famille imaginaire, des relations entre la fiction et la réalité, "Camille redouble", film prémonitoire, le conte musical... Noémie Lvovsky est ce soir l'invitée de Laure Adler dans l'Heure bleue, à l'occasion de la sortie de son film "La Grande magie".

Avec

Ses grands-parents russes

Noémie Lvovsky revient sur ses origines : "Je sais peu de choses de mes grands-parents. Après la guerre, mon père a eu besoin de couper avec sa langue maternelle, le russe, de couper avec le yiddish. Il a seulement conservé le piano. Mes grands-parents venaient de Lvov (actuel Lvif) et d'Odessa. Ils ont dû partir, j'imagine à cause des pogroms, et à cause de l'antisémitisme. On m'a dit que mon grand–père Josip avait fait du repérage en Palestine, aux États-Unis, au Brésil, en Turquie et en France… Ils ont choisi ce pays parce qu'à l'époque, la France était le pays de la culture. Souvent, les Russes parlaient français, lisaient et aimaient la littérature française. Et c'était le pays qui avait réhabilité Dreyfus. Mal leur a pris. Ils sont partis nombreux avec beaucoup de membres de ma famille : mon père, mon oncle, ma grand-tante, je crois, mon arrière-grand-mère, un autre oncle… Puis ils sont passés de Paris en zone libre. Puis à Toulouse, ils ont été raflés, déportés, ils ne sont pas revenus. Par bonheur, mon père n'était pas là."

Des cousins ?

Noémie Lvovsky : "Il y a plus de 40 ans quelqu'un de San Francisco s'est manifesté auprès de mon père en lui disant : "On est cousins". Mon père était content, il n'en avait plus. On a rencontré ce Monsieur Goldberg formidable. On s'est pris dans les bras. De loin en loin, on se revoyait. Il aimait voyager en France. Un jour qu'il dînait chez moi, je lui ai demandé : "Mais au fait, par où sommes-nous cousins ? ". Il ne savait pas. On a ri parce qu'on n'est probablement pas cousins. Mais on avait tellement envie de l'être ! Récemment, j'ai reçu un mail d'un Vitali qui habite en Israël qui me dit qu'on est cousins du côté de ma mère ! Il m'envoie une photo de sa grand-mère et je suis sûre qu'on est cousins. C'est le sosie de mon père. Sa grand-mère est la sœur de mon grand-père ! On a quasiment le même âge et il est prestidigitateur professionnel : c'est incroyable. Il y a probablement un besoin de spectacle chez des gens qui se sont tu, ont été obligés de s'exiler."

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Son père lui a transmis de s'accrocher à la vie

"Mon père pouvait avoir un visage grave, mais il n'attendait qu'une chose : de pouvoir rire. Il avait la malice dans les yeux. Quand il regardait Fred Astaire, je regardais son visage s'illuminer. Il disait toujours : "Regarde, il ne danse pas, il vole". Il y a 24 ans, au Festival de Cannes, vous m'avez remis un prix, et on faisait une interview sous une tente. Moi qui avais fait promettre à mon père de ne pas venir à Cannes, je le vois, il était là. Il avait pris sa toute vieille petite voiture pour traverser la France. Il avait soulevé le drap de la tente pour laisser passer son visage et regarder sa fille. J'étais tellement gênée.

Il m'a transmis l'amour, la nécessité du spectacle et de donner un coup de talon au fond de la piscine pour sortir la tête de l'eau. Il m'a aussi donné quelque chose comme : "La vie, toujours et avant tout" qui devait lui venir, même, s'il avait complètement coupé avec la religion, il avait probablement gardé cette façon d'être accroché à la vie quoi qu'il arrive."

De la fiction pour supporter la réalité

"J'ai l'impression que l'on vit dans un équilibre très fragile entre la réalité toute crue brutale, cruelle, violente le plus souvent, et le besoin de fictions, d'illusion, de magie… Ça tient sur un fil, dans un équilibre très fragile. Il faut tenir. Si on bascule du côté de la seule réalité, on devient fou. Et si on bascule de l'autre côté, aussi. C'est ce qui arrive à Charles, joué par Denis Podalydès dans mon film."

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Un changement de ton dans ses films

"Mes premiers films évoquaient des personnages entre deux portes, un peu perdus. Mais je ne sais pas si c'est en prenant de l'âge, mais au plus profond de moi, lorsque ce n'est pas une tragédie, même si c'est un drame, il y a quelque chose de la vie, de la joie, ou d'une presque joie qui l'emporte toujours.

Je ne saurai pas parler de ma vie sans la fiction. Et à l'inverse, le point de départ de mes films n'est pas forcément la réalité de ma vie. Mais plutôt des idées, des sentiments, des questions, des états qui m'obsèdent. "Camille redouble" raconte l'amour. Le film pose des questions autour de l'amour que je me posais depuis l'enfance sur sa durée, sa véracité. Et il y a l'idée que l'amitié peut être aussi forte et aussi puissante que l'amour et qu'il n'y a pas besoin de faire une telle différence ! Il y a une bande de filles qui peut sauver la vie à l'adolescence. Une chose que j'ai connue comme j'ai eu une enfance plutôt très solitaire. Assez vite, les personnages sont devenus des personnages de fiction."

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"J'ai écrit avec mes co-scénaristes alors que je vivais depuis 32 ans avec un homme, le père mon enfant que j'avais rencontré très jeune. Le film parlait d'une séparation. Et à la fin du film, alors que je ne m'y attendais pas, mon compagnon m'a quittée… Comme si nous avions écrit mon divorce à venir. Il y avait dans le scénario, une scène de remariage que le film n'a pas accepté ! On a beau travailler sur un projet cinématographique, il a son mouvement propre !"

"La grande magie", son nouveau film

"La Grande magie" est un conte, une fable. Eduardo de Filippo a écrit cette pièce en 1948 et il ne l'a pas situé dans le temps. Florence Seyvos et moi avons eu besoin d'un passé plus lointain. C'est donc dans les années 1920. J'avais envie aussi d'un conte musical, car je mets la comédie musicale très très haut. Je ne le connaissais pas le théâtre d'Eduardo de Filippo. Je l'ai découvert sur scène, il y a quatorze ou quinze ans, et j'ai eu un coup de foudre absolu pour ce texte. J'avais l'impression qu'il avait écrit ce texte pour moi et uniquement pour moi, parce qu'il touche à mes questions, à mes angoisses, à mes doutes, à mes espoirs, à mes rêves les plus intimes et les plus profonds."

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