Boris Cyrulnik et paroles d'Ukraine

Le neuropsychiatre, ethnologue et écrivain Boris Cyrulnik
Le neuropsychiatre, ethnologue et écrivain Boris Cyrulnik ©AFP - Magali Cohen / Hans Lucas
Le neuropsychiatre, ethnologue et écrivain Boris Cyrulnik ©AFP - Magali Cohen / Hans Lucas
Le neuropsychiatre, ethnologue et écrivain Boris Cyrulnik ©AFP - Magali Cohen / Hans Lucas
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Notre époque, son évolution, croyances, la langue, le pouvoir des mots et aux sciences, tels sont entre autres les sujets dans l'Heure Bleue avec Boris Cyrulnik qui publie "Le Laboureur et les mangeurs de vent" (Editions Odile Jacob).

Dans " Le Laboureur et les mangeurs de vent", . Boris Cyrulnik s'interroge sur la liberté intérieure et les croyances. À sept ans, condamné à mort pour un crime qu'il ignorait, par une idéologie meurtrière, il a grandi en s’interrogeant sur comment cette idéologie a fini par s’imposer.

L'invité de 8h20 : le grand entretien
25 min

Le neuropsychiatre essaie de comprendre ces "mangeurs de vent", ceux qui se conforment aux discours dans l’air du temps, aux pensées réflexes et aveuglantes qui peuvent conduire au meurtre puis au génocide.

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Vous êtes-vous demandé comment un enfant pouvait aimer un salaud ? Il suffit d'ignorer que c'est un salaud et de s'attacher à un papa qui est gentil à la maison et qui s'appelle Mengele, Himmler ou Staline.

L'auteur de nombreux ouvrages estime que les images de l’invasion de l'Ukraine par la Russie ravivent chez les Européens la mémoire douloureuse de la Seconde Guerre mondiale.

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L'Heure Bleue donne la parole à des réfugiés ukrainiens avec AntiGonna, artiste ukrainienne qui est accueillie actuellement à la Cité des arts de Paris. Ses œuvres ont pour thématique les problèmes de peurs, de violence, de mort et de nouvelle vision de la sexualité. Irina, originaire de Kyiv, exilée actuellement à Colmar avec son jeune fils et sa mère. Evgenia et son petit-fils, réfugiés à Paris par l’association France Terre d’Asile.

Extraits de l'entretien avec Boris Cyrulnik

Des images d’Ukraine qui font resurgir des images enfouies

Laure Adler : "Quand vous voyez ces images à la télévision, celles que nous voyons tous les jours depuis maintenant un mois, que ressentez-vous ?"

Boris Cyrulnik : "Ces images me rappellent la Seconde Guerre mondiale. J'étais convaincu que jamais cela n’aurait à nouveau lieu. Mais quand je vois l'exode, quand j'entends le bruit des avions, quand je vois les bombardements…

Des souvenirs que je croyais effacés, alors qu'ils étaient simplement enfouis, reviennent comme si cela venait d'arriver."

La condition pour surmonter un traumatisme : être entouré

LA : "Projetons-nous dans un avenir douloureux. Cela veut dire qu’un jeune Ukrainien d’aujourd’hui ressentira les mêmes choses que vous aujourd’hui ?"

BC : "Bien sûr, il n'oubliera jamais. Ce n’est impossible d'oublier. Ça ne veut pas dire qu'il n’aura pas une bonne existence. Mais elle sera marquée par ce traumatisme qu'il surmontera si on l'entoure, et si on donne un sens à sa blessure. Mais si on l'abandonne, il ne pourra pas devenir résilient."

Toujours la même histoire : des gens se soumettent au récit d’un homme ivre de pouvoir

LA : "Comment ressentez-vous ce conflit en Ukraine au plus profond de vous ?"

BC : "Je le ressens comme une blessure personnelle. Je ne comprends pas. Je croyais qu'on avait compris. Eh bien non ! L'expérience sert à rien. Il faut toujours qu’il y ait des hommes ivres de pouvoir qui accèdent à la tête de leur état et appliquent les mêmes mauvaises méthodes. Et le pire, c'est que ça marche !"

La question à se poser est : Pourquoi autant de gens bien éduqués suivent ces dictateurs ? Les nazis n'étaient pas des brutes. Il y avait parmi eux des barbares entraînés, mais la plupart venait de la plus belle culture d'Occident des années 1930. Malgré tout, ils ont suivi un récit stupide.

On voit le même phénomène réapparaître : une brute ivre de domination fait un dessein auquel des millions de gens adhèrent."

Donner sa place à la culture

LA : "Ces enfants ukrainiens vont-ils hériter d'une haine vis-à-vis du peuple autrefois frère, le peuple russe ?"

BC : "Je ne crois pas que les Ukrainiens vont apprendre à haïr les Russes, mais Poutine et ceux qui le défendent. Quand la paix reviendra, parce que les guerres s'arrêtent toujours. Je suis certain que la plupart des Ukrainiens renoueront avec la culture russe. C'est pour ça que je suis opposé au boycott des cinéastes, des gens de théâtre… Au contraire, il faut donner la parole aux artistes russes. Le théâtre ou le cinéma, c'est une forme de démocratie."

Un épisode généreux auquel il faudra donner du sens

LA : "Cette empathie et cet accueil vont-ils continuer ? Ou allons-nous revenir aux affaires courantes et que tout s'effacera progressivement de notre univers quotidien émotionnel ?"

BC : "S'effacer, non. Cet épisode laissera des traces. Chez les Ukrainiens d'abord. Mais chez nous, ça laissera des traces heureuses si on les aide. Et ça laissera des traces honteuses ou si on ne les aide pas.

Mais, non, ce n’est pas terminé tout ça. Même quand la guerre sera finie, cela restera dans la mémoire.

A ce moment-là qu'il faudra donner sens au trauma. C'est pour ça qu'on aura besoin des philosophes, des artistes, des romanciers qui donneront du sens à cette tragédie."

L’école, une priorité

LA : "La plupart des enfants ukrainiens qui arrivent sur le territoire français seront accueillis dans des structures scolaires d'accueil temporaires. Il semblerait que ce soit très important qu'ils réapprennent le goût de la connaissance."

BC : "Si on veut que ces enfants se sentent dans la norme, il faut vite les accueillir à l'école. Là probablement, ils apprendront le français très vite, car ils parlent déjà plusieurs langues. Et en tout les cas, ils se sentiront normaux, intégrés, et accueillis."

Le futur n’est pas mort

LA : "Sur les murs d’Ukraine est écrit : "Le futur est mort". Qu'en pensez-vous ?

BC : "Le futur n'est pas mort, au contraire. Même quand les racines sont coupées, quand une ville est détruite, on se réfugie dans l'imaginaire. Et après, quand la paix sera revenue, il s'agira de reconstruire une autre culture ukrainienne en tenant compte de ce qui s'est passé. Comme cela s'est passé en Pologne, comme cela s'est passé en France où, après la guerre, il y a eu une nouvelle réorganisation sociale et culturelle."

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